Les historiens savent où Solomon Northup est né, où il a vécu et où il a travaillé. Ils savent qui il a épousé et combien d'enfants il a eu. Ils savent qu'il jouait du violon et qu'il a passé 12 ans comme esclave dans le sud des États-Unis avant d'être libéré.

Ce que les historiens ne savent pas, c'est quand et comment l'auteur du livre 12 Years a Slave (Esclave pendant 12 ans) est décédé et où il a été enterré. La mort de cet Afro-Américain né libre au XIXe siècle, dont le récit poignant de la condition d'esclave en Louisiane avant la guerre civile américaine a inspiré le film du même nom, demeure un mystère complet.

«C'est comme un grand trou dans l'histoire, affirme Rachel Seligman, qui a coécrit avec David Fiske et Clifford Brown l'essai Solomon Northup: The Complete Story of the Author of Twelve Years a Slave, publié l'an dernier.

Plus tôt en mars, le long métrage 12 Years a Slave a remporté les prix du meilleur film, de la meilleure adaptation et de la meilleure actrice de soutien lors de la 86e cérémonie des Oscars. Ces récompenses ont suscité l'intérêt du public pour Solomon Northup, qui était peu connu auparavant, même dans les communautés de l'État de New York où il a vécu presque toute son existence.

Solomon est né le 10 juillet 1807 dans ce qui est maintenant la ville de Minerva, dans le comté d'Essex, dans les monts Adirondack. Son père, un ancien esclave, a plus tard déménagé sa famille dans le comté voisin de Washington avant de s'établir dans le village de Fort Edwards, près de la rivière Hudson, à environ 64 kilomètres au nord d'Albany.

À la fin des années 1820, Solomon a épousé Anne Hampton avec qu'il a emménagé dans une maison de Fort Edwards construite au XVIIIe siècle et qui est maintenant un musée. Le jeune homme a travaillé sur la ferme de son père et comme draveur sur le canal Champlain entre Fort Edwards et le sud du lac Champlain.

Le couple et leur progéniture se sont ensuite installés à Saratoga Springs après qu'Anne eut trouvé un emploi dans l'un des nombreux hôtels de la ville. Solomon s'est mis à gagner sa vie comme musicien mais, en 1841, deux hommes blancs l'ayant attiré à Washington en lui promettant du travail l'ont kidnappé et emmené à la Nouvelles-Orléans, où il a été vendu comme esclave.

Pendant les 12 années qui ont suivi, il a été esclave sur une plantation de coton de la Louisiane avant que des amis de Saratoga ne réussissent à obtenir sa libération. En 1853, il a publié un bouquin relatant son calvaire, ce qui l'a mené à effectuer une série de conférences avec l'appui de partisans de l'abolition de l'esclavage.

Solomon Northup a aussi été impliqué dans le chemin de fer clandestin et aidé des esclaves en fuite à commencer une nouvelle existence dans le nord-est du Canada. Mais aux alentours de 1863, au plus fort de la guerre civile, il s'est volatilisé. Même le film de Steve McQueen mentionne à la fin que «la date, le lieu et les circonstances» du décès de Solomon restent inconnus.

Les théories sur ce qui a pu lui arriver sont nombreuses. L'une d'entre elles avance qu'il a été capturé et tué alors qu'il agissait comme espion pour l'armée de l'Union. L'homme qui a contribué à sa libération en Louisiane a dit croire que Solomon s'était saoulé et avait de nouveau été enlevé.

Certains pensent aussi que Solomon Northup s'est peut-être éteint à un endroit où personne ne le connaissait ou trouvait important d'offrir une sépulture décente à un Afro-Américain alors que les États-Unis étaient déchirés par une guerre dont l'une des causes était l'esclavage.

«Il s'est peut-être promené de ville en ville et est décédé quelque part où personne ne savait qui il était et été enterré dans un cimetière de pauvres, indique David Fiske, un autre coauteur du livre sur Solomon paru en 2013. Il n'y aucune trace écrite sur lui.»

Selon M. Fiske, même les descendants n'ont pu fournir aucun document ou élément qui aurait pu faire la lumière sur les derniers instants de Solomon Northup. L'historien a donc dû suivre plusieurs pistes pour tenter de découvrir où le violoniste avait été enseveli. Il a vérifié les cimetières des villages voisins de Saratoga et d'autres communautés du nord de l'État de New-York où sa veuve et leurs enfants ont plus tard vécu, mais en vain.

Aucun certificat de décès n'a été retrouvé. David Fiske, un ancien bibliothécaire, souligne que l'enregistrement des décès dans l'État de New York n'est devenu systématique que dans les années 1880.

Pour Mme Seligman, conservatrice au collège Skidmore, qui accueillera en juillet la journée annuelle Solomon Northup, le mystère entourant la mort et le lieu de sépulture de l'ancien esclave fait partie du jeu. «C'est ce qui pousse les historiens à poursuivre leurs recherches, estime-t-elle. C'est une énigme à résoudre.»