Gilles Archambault est peut-être le dernier de son espèce: sourd aux innovations technologiques, il écrit encore tous ses romans à la machine à écrire!

«Ce n'est pas quelque chose que j'ai décidé. Je suis juste très malhabile pour apprendre des choses nouvelles, admet l'auteur de 77 ans. Et comme je tape aussi rapidement que n'importe quelle secrétaire, j'ai toujours remis à plus tard mon apprentissage de l'ordinateur.»

Ses amis se moquent de lui, mais «jamais méchamment», dit-il. Son fils qui, douce ironie, a travaillé chez Nortel et Vidéotron, a souvent voulu lui refiler ses vieux ordis. Mais rien à faire: Gilles Archambault a toujours préféré sa bonne vieille Adler mécanique, sur laquelle ont été écrits ses 31 romans.

Attachement au passé? Nostalgie Blue Note? Romantisme à la sauce bebop? Au contraire, dit celui dont l'amour pour le vieux jazz est bien connu. Comme sa musique préférée, la machine à écrire est pour lui synonyme de vie, de puissance et de dynamisme.

«Le cliquetis de la machine à écrire me remplit de joie, lance-t-il. J'aime le rythme que ça donne. Il y a dans la machine à écrire un côté trépidant et bruyant que je ne retrouve pas avec l'ordinateur... Je me souviens, quand j'entrais dans la salle de rédaction du Devoir et que je voyais tous les journalistes devant leur ordinateur, j'avais l'impression que c'était des agents de voyages qui ne partaient pas!»

On lui fait valoir que le traitement de texte permet des choses que la machine à écrire ne permettait pas. Que les corrections sont beaucoup plus faciles avec l'informatique. Mais il s'en fout. Ses textes, de toute façon, demandent rarement de grosses interventions. Une fois le bouquin terminé, un directeur littéraire relit le tout, écrit ses suggestions à la mine, puis la maison d'édition fait retaper les manuscrits à l'ordinateur. Jamais, dit-il, son éditeur ne lui a demandé de moderniser sa méthode.

Surprenant? Pas tant que ça. Selon Jean Bernier, des éditions Boréal (maison de Gilles Archambault), un manuscrit a au moins l'avantage de refléter exactement la vision de l'auteur.

«L'ordinateur a réduit les coûts, mais pas nécessairement le temps de travail, explique le directeur littéraire. Avec un manuscrit tapé à la main, on sait que les paragraphes sont à la bonne place. Avec le fichier électronique, c'est plus fantaisiste. Les écrivains ne sont pas des pros de la typo. Il peut arriver qu'il manque des lignes, des caractères. Il y a des accents bizarres. Des italiques qui sautent, des sauts de page n'importe où. Il faut souvent tout refaire...»

Gilles Archambault se voit-il comme le dernier des Mohicans? «C'est possible, dit-il. Si c'est vrai, ça ne me dérange pas. Mais je ne m'en vante pas. Ce n'est pas très agréable d'être un reliquat du passé.»

Cela dit, il n'est jamais trop tard pour bien faire. D'un ton mollement convaincu, l'auteur promet qu'il s'y mettra très bientôt.

«Ma femme est décédée l'an dernier. Là, je repeins l'appartement à neuf. Après, je m'achète un ordinateur...»