À 91 ans, Willie Sterner profite de la vie à Montréal avec sa femme Eva. Pour lui qui a survécu aux camps de concentration et perdu tous ses proches, tués par les nazis, le dur hiver laurentien a la douceur du printemps. «Nous sommes revenus de l'enfer où nous n'étions même pas considérés comme des animaux, dit Willie Sterner, en entrevue chez lui. Ici, je suis au paradis.»

Willie Sterner raconte son histoire dans The Shadows Behind Me, que vient de publier la Fondation Azrieli. Cette fondation qui porte le nom de David J. Azrieli, survivant de l'Holocauste, a créé la Collection Azrieli des mémoires des survivants de l'Holocauste, une série de livres écrits par des gens venus s'établir au Canada après avoir connu les horreurs de la Seconde Guerre mondiale.

La fondation a recueilli 170 témoignages de survivants, dont la moitié ne sont plus en vie aujourd'hui. Ce travail a mené à la publication de 22 livres: 13 en anglais et 9 en français.

Né en 1919 en Pologne, Willie Sterner aurait pu avoir une belle carrière de peintre décorateur avec son père, Hersz Lieb Sterner, mais les nazis en ont décidé autrement. Passionnant, son livre débute par les craintes qu'avaient les juifs avant que les nazis pénètrent à Varsovie le 1er septembre 1939. «Nous avions peur d'Hitler, écrit-il. Instinctivement, nous étions horrifiés et nous nous sentions impuissants. Nous sentions qu'en tant que juifs, le futur serait terrible. J'espérais juste que les leaders du monde seraient honnêtes et arrêteraient cet homme dont nous savions déjà qu'il voulait tuer des juifs, mais ils semblaient indifférents à notre situation désespérée.»

Il décrit comment la vie est devenue humiliante pour les juifs. Le port de l'étoile jaune, les brimades, les privations de liberté, l'interdiction d'exercer certaines professions et de marcher sur les trottoirs, les travaux forcés, rien n'épargnait les juifs ... même la police juive formée par les nazis.

«Cette police oubliait que nous étions juifs et se comportait comme des nazis. Elle aidait les nazis à terroriser nos gens.»

En janvier 1940, Willie doit travailler dans un camp. Il coupe du bois dans la neige, mal vêtu, mal nourri et dormant sans matelas ni couverture. Quelques mois plus tard, il effectue des travaux de peinture dans des baraquements militaires. Son talent de peintre lui permet d'atténuer ses souffrances.

Mais en avril 1942, une portion de la ville de Wolbrom où la famille Sterner est allée habiter devient un ghetto. Les juifs sont rassemblés pour pouvoir être mieux contrôlés et envoyés vers les camps de la mort. C'est ce qui se passe pour sa mère, Hinda Reizel Sterner, et ses quatre soeurs, Ida, Rachel, Genia et Sarah, mises dans un wagon à bestiaux sous ses yeux et ceux de son père. «C'était la première fois que je voyais mon cher papa pleurer», écrit-il.

Willie, son père et ses deux frères, Josel Meier et Abraham, sont envoyés au ghetto de Varsovie. Willie réussit à s'échapper. Peu après, son père et ses deux frères sont exécutés. Rattrapé, il finit dans un autre camp de travail puis, en 1943, à l'usine d'Oskar Schindler, près de Cracovie.

Le livre rappelle alors le film Schindler's List, de Steven Spielberg. Willie Sterner évoque la grande âme d'Oskar Schindler, un nazi qui a sauvé de la mort bien des juifs qu'il employait. «Chaque jour, il nous donnait espoir de rester alerte et d'endurer cette vie épuisante», écrit-il.

Malheureusement, en juillet 1944, il doit quitter l'usine pour le camp de Mauthausen-Gusen. «À notre arrivée, nous avons été battus par les gardes SS, écrit-il. Et puis, j'ai vu pour la première fois un immense crématorium avec de la fumée sortant de sa cheminée. Il y avait une odeur terrible. À ce moment-là, nous avons tous su ce qu'il se passait. Il ne pouvait pas y avoir d'erreur avec cette odeur.»

Malgré la faim, la soif, le froid, le dénuement, la dépression et la peur «que notre futur soit dans la cheminée», Willie Sterner s'en sort. À la Libération, il retrouve une femme, Eva Mrowka, rencontrée dans un camp. Ils émigrent au Canada, s'installent à Montréal.

Willie a travaillé comme peintre puis a ouvert un dépanneur au centre-ville. Eva et Willie ont eu deux fils qui leur ont donné quatre petites-filles. À sa retraite, il est devenu conférencier, témoignant de son expérience partout dans le monde.

«Ces histoires, comme celle de Willie, sont des modèles de courage et d'espoir, dit Naomi Azrieli, directrice générale de la fondation. Comme l'Holocauste n'est pas autant enseigné au Canada qu'en Europe ou aux États-Unis, et que nous voulons que ce soit connu du plus grand nombre, les livres de la collection sont gratuits pour les bibliothèques et les écoles. On peut aussi les télécharger gratuitement sur notre site: azrielifoundation.org.»

Quelque 35 000 survivants de l'Holocauste ont émigré au Canada. La plupart se sont installés au Québec. De ce nombre, 5000 vivent encore avec leur passé qui les suit comme une ombre.

«Je ne suis pas écrivain, dit Willie Sterner. J'ai voulu raconter ce que j'ai vécu. La peinture a sauvé ma vie, mais j'ai été très chanceux. Aujourd'hui, je vis avec ces terribles souvenirs qui ne me quittent jamais. Mais ça peut se reproduire. Il faut faire attention et encourager la démocratie partout.»

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Willie Sterner dédicacera son livre à la librairie Chapters, 1171, Sainte-Catherine Ouest, le dimanche 1er mai de 14 h à 16 h, à l'occasion du jour du Souvenir de l'Holocauste célébré chaque année le 2 mai. Une autre auteure faisant partie de la collection, Marguerite Elias Quddus, dont le livre s'intitule Cachée, sera quant à elle le 1er mai à 14h au Chapters Indigo du 900, boulevard le Corbusier à Laval. www.azrielifoundation.org

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The Shadows Behind Me. Willie Sterner. Fondation Azrieli, 210 pages.