Depuis L'ombre du vent, best-seller mondial publié en espagnol en 2001 et en français en 2004, l'oeuvre du Catalan Carlos Ruiz Zafon rejoint un public nombreux et enthousiaste. Son savant mélange de gothique et de romantique, de mystère et d'histoire, le tout saupoudré d'un amour absolu pour la littérature, a conquis le coeur des lecteurs de la planète. Pour faire plaisir à ceux de la francophonie, un de ses premiers livres, Marina, a été traduit pour la première fois en français.

Lorsqu'on parle de Carlos Ruiz Zafon, recordman de la littérature espagnole, la question des chiffres n'est jamais très loin: traduit en 40 langues, L'ombre du vent s'est vendu à 12 millions d'exemplaires dans 50 pays. Son roman suivant (et plus récent), Le jeu de l'ange, a quant à lui suscité la frénésie dans son pays natal: lors de sa sortie, 600 000 exemplaires s'y sont envolés en une semaine.

Le romancier de 46 ans avait cependant commencé sa carrière au début des années 90 avec des romans dits «jeunesse», qui s'adressaient à un public d'adolescents et de jeunes adultes, et qui lui avaient déjà apporté une certaine notoriété en Espagne. Marina, sorti seulement deux ans avant L'ombre du vent, soit en 1999, fait partie de cette série.

L'histoire se déroulait, déjà, dans la Barcelone baroque et mythique de Mendoza et de Pérez-Reverte, et réunit une bonne dose de fantastique, de mystère et de frissons dans ce qui pourrait être une répétition générale de L'ombre du vent. Dans ce roman où la mort plane et le sentiment de perte domine, les aventures du jeune Oscar dans les dédales et les égouts de la ville, son amour pour Marina, qui lui apprendra qu'on ne se souvient «que de ce qui n'est jamais arrivé», et la présence d'êtres monstrueux dignes de Frankenstein pourront plaire aux fans de l'auteur, même ceux qui ne sont plus depuis longtemps de «jeunes adultes».

Nous en avons discuté, par courriel, avec Carlos Ruiz Zafon, qui vit en Californie où il écrit des romans, des scénarios de film et de la musique.

Q: Vous êtes toujours inspiré par Barcelone même si vous n'y vivez plus depuis longtemps?

R: En réalité, je passe une partie de l'année à Barcelone, elle continue donc à être une partie importante de ma vie. Je me sers souvent de Barcelone comme inspiration parce que c'est la ville où je suis né et où j'ai grandi. Ce qui m'intéresse, c'est son essence, l'esprit qu'elle a développé tout au long de sa longue histoire. La Barcelone de mes livres est plus littéraire que réel, c'est un personnage inspiré par la ville, mais très stylisé.

Q: Qu'est-ce que Barcelone a que n'ont pas les autres grandes villes du monde?

R: Chaque ville a quelque chose de singulier. Je m'intéresse aux villes et à leur histoire, leur architecture, leurs secrets, et beaucoup de lieux dans le monde me semblent aussi ou plus intéressants que Barcelone. Ce que Barcelone a d'unique, je crois, c'est son patrimoine artistique et architectural, et sa structure urbaine si particulière qui découle de l'étalement de la ville pendant la deuxième moitié du XIXe siècle. Barcelone est une des peu nombreuses grandes villes du monde qui n'a jamais été détruite totalement en 2000 ans d'histoire. Presque tous les grands centres urbains d'Europe ont été détruits une ou plusieurs fois dans les derniers siècles, pas Barcelone. On peut marcher 20 minutes et toucher les pierres de 20 siècles, ce qui lui donne une aura particulière chargée de mémoire et d'histoire.

Q: Est-ce que vous considérez Marina comme un livre de littérature jeunesse? Quels sont les lecteurs que vous voulez rejoindre en français?

R: Je n'ai jamais su à quelle catégorie ce livre appartient et je ne suis pas sûr que c'est important. À l'origine, il a été publié comme littérature jeunesse, mais c'est un livre qui plaît autant aux jeunes lecteurs qu'aux adultes. Pour moi, il s'agit simplement d'un roman, d'une histoire personnelle. J'écris pour les gens qui aiment lire, qui s'intéressent au livre, au langage, aux idées, à l'imagination et à la beauté des mots et de la narration. Quels que soient la langue, la race, l'âge et la nationalité, pour moi, les lecteurs du monde sont une nation à part.

Q: Il y a des similitudes entre L'ombre du vent et Marina: un narrateur adolescent, la recherche dans le passé, le mystère, des masques et des dissimulations... Est-ce que vous auriez pu écrire L'ombre du vent si Marina ne l'avait pas précédé?

R: Je crois que la carrière de tous les écrivains est organique et que les oeuvres qu'on écrit s'appuient sur des éléments qu'on a explorés avant et qu'on développe dans de nouvelles directions. Chacun avance par petits pas, expérimente, explore. Sans doute, Marina est le prélude de L'ombre du vent.

Q: Quelle est l'importance de Marina dans votre oeuvre?

R Selon moi, tous les livres qu'on écrit sont importants pour soi-même. Sans tenir compte de leur succès ni de leur popularité. Mais pour des raisons purement personnelles, Marina est une de mes histoires préférées.

Q: Sur quoi travaillez-vous en ce moment?

R: Sur un nouveau roman, mais je ne sais pas quand je le terminerai. Je ne vois toujours pas la terre à l'horizon...

Q: Tous ces records de ventes, ça vous fait plaisir?

R: Je ne me préoccupe pas d'établir des records d'aucun ordre, et ce n'est pas quelque chose auquel je pense. J'ai l'ambition d'écrire de bons romans qui m'intéressent et qui puissent avoir quelque chose à offrir aux gens qui aiment la littérature et l'apprécient.

Marina

Carlos Ruiz Zafon

Éditions Robert Laffont, 304 pages

Pochette du livre Marina de Carlos Ruiz Zafon.