Parce qu'elle voulait comprendre comment la «France d'en bas» vivait la crise économique, la journaliste française Florence Aubenas a pris, en 2009, un congé sans solde de six mois du Nouvel Observateur .

Elle a loué une chambre à Caen, en province, et s'est inscrite à l'agence pour l'emploi, se faisant passer pour une femme récemment divorcée, sans expérience professionnelle.

«Vous êtes le fond de la casserole, madame», lui fait remarquer son conseiller à l'emploi dès leur première entrevue. Elle pensait que ce serait difficile de trouver un travail, elle constate qu'elle doit tout accepter.

Au volant du «Tracteur», une vieille voiture qu'on a eu la solidarité de lui prêter, elle enfile les kilomètres dès le petit matin vers des locaux d'entreprises les plus isolés, pour de maigres heures de travail épuisantes. L'un d'eux sera le ferry reliant l'Angleterre, où les «filles» travaillent comme des galériennes.

Ces contrats précaires - «Aujourd'hui, on ne trouve pas de travail, on trouve «des heures»» - donnent lieu à de multiples portraits de femmes qui dépensent l'énergie du désespoir pour empocher quelques euros.

C'est aussi l'observation d'un groupe social pour qui aller au supermarché et regarder la télé constituent les seules distractions et où on laisse pourrir ses dents car le dentiste serait un luxe impossible. Des vies où «on travaille tout le temps, sans vraiment avoir de travail, on gagne de l'argent sans vraiment gagner notre vie».

On s'étonne que Florence Aubenas ait eu besoin de cette immersion pour prendre la mesure de la crise, mais son récit bien mené, humain, honnête, sans misérabilisme, constitue un témoin fidèle du climat social sinistre de son époque.

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Le Quai de Ouistreham. Florence Aubenas. L'Olivier, 270 pages, 34,95 $.