Il n'y a pas que les prix littéraires à Paris, même si tout le monde souhaite en décrocher un. Non sans raison: même s'ils sont loin de récompenser le meilleur roman de la saison, le Goncourt peut «valoir» jusqu'à 250 000 exemplaires, le Femina et le Renaudot au moins 100 000. Comme le disait la romancière Marie N'Diaye à propos de son Femina de 2001: «Cela m'a procuré une indépendance financière.»

Véritable comète de la rentrée littéraire 2009, une parfaite inconnue du nom de Catherine Mavrikakis s'est retrouvée sur la première liste du prix Femina, ce qui était exceptionnel. Elle n'y est plus. Mais cela ne change rien pour l'essentiel: ces jours-ci, elle poursuit en librairie et dans les médias un parcours stupéfiant pour une nouvelle venue sur la scène parisienne.

Tranquillement installée dans les locaux de la petite et réputée maison des Éditions Sabine Wespieser - qui ressemblent davantage à un bel appartement privé qu'à des bureaux - l'auteure de Le ciel de Bay City semble avoir adopté la meilleure attitude qui soit: elle se moque de ce qui lui arrive et prend les choses comme elles viennent. Ou du moins prétend le faire.

D'ailleurs elle ne s'est pas vraiment précipitée à Paris: la rumeur autour de son roman a pris naissance à la fin du mois d'août avec la sélection de Télérama, et elle a attendu la mi-octobre pour se pointer une petite semaine à Paris.

«En écrivant ce roman, dit-elle comme si cela allait de soi, je n'avais aucune intention de le publier à Paris. Je suis très contente de ce qui arrive aujourd'hui, mais pour moi l'essentiel était fait avec sa publication à Montréal dans une maison où je me sens bien. Le précédent roman, je l'avais envoyé chez un éditeur parisien - un seul - sans même obtenir de réponse. Comme je me trouvais bien chez Héliotrope, je n'ai jamais soumis Bay City à un éditeur français. Mais de passage à Montréal, Sabine Wespieser est entrée dans une librairie et a demandé à ce qu'on lui recommande un roman québécois. Ella a constaté que les droits français étaient libres, et voilà.»

Fille d'immigrants - mère française et père grec -, née à Chicago, mais arrivée à l'âge de 1 an à Montréal, Catherine Mavrikakis a été présentée par son éditrice comme une sorte de Franco-Américaine «qui enseigne à l'Université de Montréal». Petit tour de passe-passe qui ne nuit jamais à Paris, où l'on révère les États-Unis, et qui était d'autant plus crédible que Le ciel de Bay City se passe dans le Michigan. Dans un décor qui ressemble beaucoup à celui de l'est de Montréal, avec les dépôts de pétrole obsédants que la jeune Mavrikakis avait connus pendant son enfance.

«Si j'avais installé cette histoire au Québec, dit-elle, j'aurais été obligée d'aborder la question québécoise, et je n'en avais pas envie. Le décor américain me donnait la liberté de dire ce que je voulais de l'Amérique.» À Paris, ce choix américain était un atout majeur. «Le ciel de Bay City est un grand roman américain», écrit Sandra Basch dans le Elle du 24 septembre. Tous les autres critiques français ont interprété le texte dans le même sens franco-américain.

Entre-temps, la tournée de Mme Mavrikakis à Paris prend des allures de triomphe. Elle a eu une demi-page dithyrambique dans L'Express. Un portrait signé Josyane Savigneau paraîtra dans le Monde. Elle a fait dans la semaine les cinq ou six émissions littéraires disponibles à la radio et à la télévision.

Résultat des courses: entre 7000 et 9000 exemplaires vendus jusqu'à maintenant. Des chiffres impressionnants pour un «premier» roman. Et qui raviraient pas mal de romanciers français consacrés et connus.