Un livre pour enfants, ça ne s'écrit pas comme ça, les doigts dans le nez. Cela prend du temps, de l'imagination et, ce qui ne nuit pas, quelques enfants à portée de main. Gilles Vigneault en sait quelque chose, lui qui a publié une douzaine de contes jeunesse au cours des 30 dernières années. Si on en parle, c'est que son plus récent livre-disque, Un cadeau pour Sophie (Éditions La montagne secrète), sera transposé sur scène demain, dans le cadre du FIL, dans un spectacle musical monté par l'animatrice Monique Giroux, avec les artistes Pierre Flynn, Arianne Moffatt, Martin Léon, Steve Normandin, Jessica Vigneault, James Hyndman et, bien sûr, Gilles Vigneault lui-même. Bonne occasion de s'entretenir avec le chanteur de 80 ans sur l'art de captiver les enfants. Place aux souvenirs. Et aux silences.

Q M. Vigneault, est-ce qu'il y a un truc pour raconter aux enfants?

R Le plus grand cadeau qu'on puisse leur faire, c'est de leur donner du temps. Le temps dont on a un peu moins et le temps dont ils ont un peu plus. Il faut prendre de ce temps-là avant d'aller raconter une histoire à un enfant. Parce qu'il faut que cette histoire se tienne debout. Avec des épisodes. Un commencement et une fin. Quoiqu'une fin n'est pas absolument nécessaire parce qu'on peut dire à l'enfant qu'on continuera demain soir et ça, c'est un bon truc pour avoir le temps de penser à une fin!

Q Est-ce que, selon vous, on écrit pour les enfants comme on raconte aux enfants?

R Dans les deux cas, il faut un peu redevenir enfant soi-même. La différence, c'est qu'on a plus de temps pour écrire. Pour raconter, on est dans l'improvisation pure. Et dans l'impro, il faut savoir ménager des silences. Et ça, c'est très important. Parce que c'est un temps dans lequel l'enfant imagine autre chose qui va faire suite à ce qu'on a dit. Or, on arrive presque toujours avec quelque chose qui va le surprendre, parce qu'on est nous-mêmes en train d'imaginer avec notre imaginaire propre! (rires)

Q Plus jeune, est-ce qu'un livre vous a marqué?

R Il n'y avait pas de livres pour enfants dans notre maison. Il y avait chez nous L'almanach du peuple Beauchemin, un dictionnaire et le journal Le Soleil. L'almanach, c'était l'ouverture sur le monde et l'univers. On y trouvait des histoires, des proverbes. Des citations de grands écrivains. Des fois des contes. C'est surtout ça qui m'a nourri. Ç'a été très important.

Q Vos parents vous racontaient des histoires?

R Mon père racontait beaucoup, mais pas pour qu'on s'endorme. Il racontait à la visite. Je me rappelle, il disait à ma mère: «Marie, allume pas la lampe, on va parler...» Ça, ça voulait dire que lui allait parler! Il racontait des histoires en fumant la pipe. Avec des silences et une technique extraordinaire. On était suspendus à ses mots. C'était des faits vécus. Des histoires de problème en forêt. Des histoires de chasse. Des histoires de pêche, bien sûr...

Q En terminant, qu'est-ce qui peut motiver un homme de lettres à «raconter» pour les enfants?

R D'abord, c'est bon pour l'imagination. Et ça empêche «d'alzheimeriser»! Ensuite, il y a l'enfant lui-même. Le fait que dans sa tête, ce que l'on dépose a une espèce d'immortalité. Car ce que l'on dépose dans sa tête ira beaucoup plus loin que ce qu'on a déposé dans la mienne. Dans leur tête, mes mots continuent leur chemin, alors que moi, je vais m'en aller. Ça me paraît comme une nécessité réciproque. Pour l'enfant qui est prêt à recevoir des possibles dans son imaginaire tout neuf, et pour le vieux de se transmettre. Mais bon. C'est une immortalité qui en vaut bien une autre, n'est-ce pas?

Un cadeau pour Sophie, demain, à 13h et 15h, à la Cinquième Salle de la Place des Arts.