La psychologie moderne s'est approprié Peter Pan, ce garçonnet qui refusait le monde adulte, choisissant l'innocence de l'enfance. Ici, derrière Peter Pan, pas d'analyse, pas de théorie à deux sous. Plutôt le souvenir embrumé d'un jeune homme perdu dans un Neverland moderne: le bar.

Peter Pan, c'est Malcom Wendell Walker, ami intime de l'auteure Claire Varin, qui a choisi pour son septième livre de juxtaposer fiction et biographie. Fortement ébranlée par la mort de cet homme alcoolique se fondant dans la masse des gens que l'on dit ordinaires, comète incandescente dans une ville anonyme, Varin aura laissé passer une vingtaine d'années avant d'oser célébrer par l'écriture le passage flamboyant de cet amant disparu en 1981, fantôme en peine flottant entre elle et le paradis.

 

Oscillant tantôt entre une démarche documentaire (l'auteure-narratrice a retracé les individus susceptibles de l'éclairer à rebours sur le personnage: sa mère, ses anciennes flammes, ses amis proches) et un processus cathartique se rapprochant de l'autofiction, «je m'immisce constamment dans l'histoire», Varin nous livre donc un étrange roman qui lie intimement le sujet et l'auteure jusque dans l'acte d'écriture, présentant deux protagonistes cheminant en parallèle. L'auteure y note, sous de courts chapitres, des impressions, des souvenirs, des découvertes, offrant ici des funérailles intimes sous nos yeux tout en y amalgamant une trame narrative s'articulant autour d'une enquête somme toute secondaire.

Si l'entreprise semble risquée ne serait-ce que par le réflexe de voyeurisme qu'elle provoque, elle a tout de même le mérite de susciter la réflexion. Certes, l'auteure nous renvoie à la photographie qui orne la couverture - photographie tirée d'archives personnelles - et cherche à impliquer le lecteur dans ses propres interrogations autour du disparu. Or, Varin parvient aussi à semer le doute, se jouant du réel en y introduisant une part d'irrationnel. L'auteure en profite pour questionner la mort, ornant chaque chapitre d'une citation s'y rapportant (de Zweig à Einstein en passant par Anne Hébert et Fernand Ouellette) et nous entraîne de nouveau dans une culture qui lui est chère, celle d'une Amérique du Sud qui festoie la fin de la vie au lieu de la nier, soulignant par le fait même nos difficultés à faire le deuil, s'empêtrant dans les fantômes au lieu de les écouter.

Bien sûr, le tout désarçonne. L'émotivité de certains passages nous laisse croire que la fiction n'a pas pris tous ses droits. Les nombreux comptes rendus de séances de spiritisme sont dénués d'intérêt, dans la mesure où ils expliquent une genèse que l'on avait aisément devinée. La langue de Varin, que l'on connaît plus riche, perd aussi de sa force sous les assauts de l'émotion, donnant lieu à des métaphores souvent maladroites, comme si ce Peter Pan des temps modernes, spectre exigeant, tenait encore trop la bride...

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La mort de Peter Pan

Claire Varin Québec Amérique, 216 pages, 19,95$

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