À 63 ans, le « vieux pas sage » Yves P Pelletier continue de se raconter avec Me suivez-vous ?, récit autobiographique de ses années 1990 et 2000, dans lequel la bibitte cède peu à peu sa place au grand sensible qu’il a, de toute façon, toujours été.

Le 26 septembre 2004, Yves P Pelletier est reçu sur le plateau de Tout le monde en parle, en ondes depuis seulement trois semaines, afin de promouvoir son premier film, Les aimants. Parmi les autres invités : le chef du NPD, Jack Layton, et Kalsang Dolma, protagoniste de Ce qu’il reste de nous, un documentaire dénonçant l’oppression qu’endurent les Tibétains.

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Yves P Pelletier et Jack Layton à Tout le monde en parle, en 2004

« Lorsque Kalsang prend place à mes côtés, je ressens en moi une grande fragilité », écrit Yves P Pelletier dans Me suivez-vous ?, la suite de son récit comico-autobiographique de 2022, Déboussolé. « Tout au long de son entrevue, alors qu’elle fait la description du génocide culturel que subissent ses compatriotes, d’autres visages affleurent à mon esprit : les miens. Ceux des Tibétains qui m’avaient fait de terribles confidences à l’abri des regards et des oreilles indiscrètes. Ceux des amis dont je n’ai plus que des nouvelles sommaires, et intermittentes. »

Déjà fragilisé par une question trop intime de son ami Guy A. au sujet de la mort de son frère, happé par un chauffard en 1984, Yves P Pelletier n’arrivera pas à endiguer ses larmes.

« J’ai perdu le contrôle et je me suis dit : Yves, c’est fini. Ta carrière est terminée », confie en entrevue, 20 ans plus tard, celui qui avait visité le Tibet à quelques reprises. « Déjà que Les aimants présentait une image de moi beaucoup plus révélatrice que ce que j’avais supposé… »

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Avec la vedette du film Les aimants, Isabelle Blais, en 2004

Mais plutôt que d’entraîner la fin de sa carrière, ce beau moment de vulnérabilité deviendra dans l’œil du grand public l’acte de naissance d’un nouveau Yves P Pelletier, moins bibitte et plus sensible, qui ne se réfugiait plus systématiquement dans le cabotinage.

« Le cabotin, c’est moi aussi ! », précise-t-il. « Mais ç’a été un long processus d’apprendre que j’avais le droit d’être sérieux et que je pouvais m’ouvrir. »

Le vieux pas sage

À 63 ans, Yves P Pelletier a indéniablement très bien appris à s’ouvrir, en témoigne Me suivez-vous ?, le livre d’un « vieux pas sage », qui a choisi de se raconter par plaisir, mais aussi parce qu’il regrette que ses prédécesseurs ne l’aient pas davantage fait, explique-t-il en se remémorant son camarade Serge Grenier. Sur le plateau de Piment fort, le Cynique avait l’habitude de le régaler d’anecdotes, qu’il a malheureusement emportées avec lui.

À l’âge que j’ai, il y a une partie de moi qui a envie de dire : écoute ben ça, m’a t’en conter une bonne !

Yves P Pelletier

Psychothérapie, problèmes de cœur, voyages partout sur la planète : ce récit, dont la tonalité principale demeure l’autodérision, regorge à nouveau de savoureuses apparitions, dont celles de Gérald Godin et de Pauline Julien (qui ont été ses voisins), de Paul Piché (le plus improbable des conseillers matrimoniaux) et de Michel « Willie » Lamothe (son chauffeur durant le tournage de Camping sauvage).

Les membres de Rock et Belles Oreilles y sont aussi à nouveau présents, mais contrairement à Déboussolé, qui dépeignait l’exaltation de leurs premiers triomphes, Me suivez-vous ? s’ouvre alors que les troupes peinent à s’entendre sur la suite à donner à leurs folies, ce qui mènera à leur première pause, en 1995.

C’est que leur processus décisionnel, purement collégial, commençait à peser sur les troupes. « Les gens chez Spectra nous appelaient le soviet suprême ! », rigole Yves.

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Yves P Pelletier

Le choix d’une pochette, d’un générique, tout pouvait devenir le sujet d’un conflit. Et il y avait Guy qui nous achalait tout le temps avec ses idées de sketches de couples qui n’intéressaient personne.

Yves P Pelletier

Contrairement à son ami de toujours, dont la retraite est assurée depuis l’envol international d’Un gars, une fille (une idée qui semble, finalement, avoir intéressé quelques personnes), Yves P Pelletier n’a jamais pu se reposer sur son succès. Pas qu’on ne lui ait jamais offert de contrats lucratifs…

En 2001, une radio commerciale lui propose ce qu’il qualifie de « pont d’or » afin de se joindre à l’équipe de son émission du matin. Mais l’humoriste sent que d’accepter équivaudrait à enfiler volontairement une camisole de force.

« J’avais tout analysé, et connaissant mon métabolisme, je savais que je ne serais pas capable de me lever aussi tôt et de continuer à mener d’autres projets, plus créatifs, en même temps », se remémore-t-il. « Je savais que ça prendrait toute mon énergie et je voulais me concentrer à créer. »

« Je peux te dire que mon agent m’a demandé deux, trois fois si j’y avais bien réfléchi », ajoute Yves avant d’éclater de rire. « Là, j’ai l’air d’avoir eu des motifs nobles, mais à l’époque, c’était juste que je ne voulais pas me lever de bonne heure. »

Écouter d’abord, lire et réfléchir ensuite

Le nombre de blondes qui se donnent le relais entre les pages de Me suivez-vous ? devrait quant à lui enterrer pour de bon les rumeurs persistantes voulant qu’Yves P Pelletier soit homosexuel. Des ragots dont le principal intéressé a toujours pris le parti de s’amuser, malgré ce qu’ils révèlent de la conception que plusieurs se font encore de ce dont devrait avoir l’air un homme, un vrai.

Il y a des filles que j’ai fini par fréquenter qui étaient convaincues que j’étais gai, juste parce que j’étais filiforme, que j’ai une voix aiguë, que je ne suis pas très athlétique, et peut-être aussi parce que RBO jouait avec les codes.

Yves P Pelletier

Même s’il parle beaucoup de lui, Yves P Pelletier signe paradoxalement le livre d’un globe-trotter jamais aussi heureux que lorsqu’il en apprend sur l’autre. Avant de nous quitter, il nous racontera, avec l’enthousiasme d’un adolescent, s’être récemment lié d’amitié avec les membres du groupe Godspeed You ! Black Emperor, dans un avion en direction de Mexico, où les Montréalais se rendaient donner un spectacle, auquel il a pu assister.

Mais en juillet 1996, Yves se trouvait plutôt au Liban, où il avait été envoyé par l’émission L’enfer c’est nous autres afin d’y tourner un reportage sur l’étonnante popularité de Mario Pelchat.

« Et quand tu passes une semaine avec des gens, ils finissent par te raconter des choses plus personnelles, souligne Yves. J’avais été bouleversé par la résilience des Libanais face à l’atrocité des crises qu’ils ont vécues. »

Que faire lorsqu’on reçoit de pareilles confidences ? « Il n’y a rien d’autre à faire que d’écouter. Puis de lire et de réfléchir. Mais d’abord, il faut toujours écouter. »

Me suivez-vous ?

Me suivez-vous ?

VLB éditeur

272 pages