Voici les suggestions de bandes dessinées de notre journaliste.

Un grand Blacksad

L’attente en aura valu la peine : Alors, tout tombe, dont la deuxième partie vient d’être publiée, s’avère le meilleur Blacksad depuis Âme rouge. Le scénario, cette fois-ci, est bien ficelé : le malin félin enquête sur des meurtres qui, découvre-t-il peu à peu, sont liés à une tentaculaire affaire de corruption impliquant un bâtisseur ambitieux et des chefs syndicaux pas très scrupuleux. Le tout est enveloppé d’intrigues et de trahisons quasi shakespeariennes – les références aux œuvres du vénérable dramaturge anglais sont nombreuses – qui donnent du ressort à cette aventure campée dans le New York des années 1950. Juan Díaz Canales offre une peinture sociale au suspense minutieusement ficelé que Juanjo Guarnido illustre une fois de plus avec maestria… et des clins d’œil à van Gogh.

Blacksad – Alors, tout tombe 2e partie

Blacksad – Alors, tout tombe 2e partie

Dargaud

55 pages

8,5/10

L’art vrai

Puiser dans le réel la matière de ses livres est la règle plus que l’exception chez Fabien Toulmé. Dans Inoubliables, il raconte six histoires issues d’autant de témoignages. L’une parle de l’embrigadement de sa famille dans les Témoins de Jéhovah et des conséquences sur sa vie, d’autres d’un amour longtemps attendu. Puis, il est question de viol, de fuite d’un pays en guerre, de délinquance et de réhabilitation. Des histoires racontées avec une grande humanité par Toulmé, qu’on sait sensible aux détails et qui excelle à faire sentir les états d’âme de ses personnages. Sa ligne claire et ses couleurs douces contribuent au caractère intime de ce beau livre paru l’automne dernier, mais qu’on s’en voudrait de passer sous silence.

Inoubliables

Inoubliables

Dupuis

126 pages

8/10

Se rêver avant

Avant d’ouvrir Moi, Edin Björnsson, pêcheur suédois au XVIIIe siècle, coureur de jupons et assassiné par un mari jaloux, on croit que l’interminable titre de cette bande dessinée dit tout ce qu’il y a à savoir au sujet de l’histoire qu’elle raconte. On se trompe, bien entendu. Et c’est l’une des qualités de l’autrice, Edith, qui nous mène en bateau tout au long de cette histoire où il est question de pêche et de réincarnation. L’Edin du titre a été coureur de jupons, c’est vrai, mais c’est surtout un enfant sans père élevé par sa mère, sa tante et aussi un homme accueilli dans la maisonnée pour donner un coup de main. Surtout, Edin serait l’une des vies antérieures vécues par l’autrice… si la « magnétiseuse » qu’elle a consultée dit vrai. L’anecdote donne lieu ici à une bonne histoire qui, au bout du compte, s’avère une ode à l’imagination.

Moi, Edin Björnsson

Moi, Edin Björnsson

Noctambule

96 pages

7/10

Réécrire l’histoire des dinosaures

Spécialiste de la vulgarisation scientifique, Marion Montaigne tire ici un fil intrigant : comment les paléontologues ont-ils reconstitué les dinosaures à partir de bouts d’os ? L’autrice obsédée par Jurassic Park (film qu’elle aurait vu plus de 400 fois si on en croit cette BD aux contours autobiographiques) en a fait son sujet d’enquête. Son coup de crayon est vif et son humour, franchement réjouissant. On la suit avec bonheur dépoussiérer l’histoire avec sa curiosité malicieuse comme guide. Nos mondes perdus n’est pas un énième livre illustré sur les géants ayant peuplé la Terre il y a plusieurs dizaines de millions d’années, c’est une divertissante plongée dans l’histoire à mettre dans les mains des jeunes ados allumés.

Nos mondes perdus

Nos mondes perdus

Dargaud

205 pages

8/10

Chasse au trésor bien tournée

Corto Maltese, mythique héros du non moins légendaire Hugo Pratt, est de nouveau repris par Martin Quenehen et Bastien Vivès. On connaît le style graphique du dessinateur, son trait sinueux et éloquent, ici baigné dans des cases se limitant au noir, gris et blanc d’intensité variée. L’audace tentée avec Océan noir en 2021 est rééditée : le récit se déroule au début des années 2000. Ici, Corto Maltese pirate un cargo rempli d’armes. L’opération est un succès, mais le met bien sûr dans de beaux draps. Partant des restes de la guerre civile d’ex-Yougoslavie, le récit habilement tourné le mène à chasser le trésor d’Alexandre le Grand. Ce tandem a la main heureuse.

La reine de Babylone

La reine de Babylone

Casterman

180 pages

7/10

Le chevalier inconnu

Spécialiste des récits médiévaux, Emanuele Arioli a reconstitué une bonne partie d’un récit perdu associé au cycle du Graal et ressuscité un héros oublié : Ségurant (ou Sigurant) le « chevalier au dragon ». La BD cosignée par le médiéviste (au scénario) et Emiliano Tanzillo (dessin) s’inspire du récit retrouvé, mais le mêle, explique-t-il en introduction, à d’anciennes légendes nordiques. Son héros s’appelle ici Sivar et se retrouve malgré lui forcé de combattre la vilaine fée Morgane pour retrouver le Graal et sauver la cour du roi Arthur. Alambiqué et plein de revirements (ce qui est la norme dans les histoires de chevalerie), le récit s’avère néanmoins beaucoup trop cousu de fil blanc pour prétendre à une certaine profondeur. La mise en scène visuelle est parfois impressionnante, mais n’hésite pas à se montrer racoleuse et il y a peu de vie dans ces personnages à l’expressivité limitée.

Le chevalier au dragon

Le chevalier au dragon

Dargaud

104 pages

5/10