Sarah-Maude Beauchesne est à la croisée des chemins. Entre son instinct maternel et sa passion pour l’écriture, son amour de la famille et sa soif de liberté, le cœur de la trentenaire balance. Faire un enfant ou « faire la romance » ? Fidèle à ses habitudes, elle vient de mettre ses questions existentielles sur papier, se livrant plus que jamais dans un récit intime qu’on devine furieusement libérateur.

Assurément vertigineux, oserait-on même ajouter. « Je n’ai jamais été aussi stressée à vie pour un projet, confirme-t-elle, en souriant nerveusement. Oui, j’ai toujours parlé de moi, mais cela a toujours été embelli par la télé, un costume, une trame narrative, un personnage. Là, c’est complètement assumé ! »

Nous sommes allés à sa rencontre à quelques jours du lancement de Faire la romance, dans son nouveau nid à la campagne, une coquette maisonnette de Lac-Brome.

L’ex-« sorcière du Plateau Est » a l’air d’un poisson dans l’eau, assise confortablement à côté de son feu de foyer, dans un salon douillet où planent une douce musique et un parfum de paix. Ici, quelques bougies, à l’étage, son chat endormi, là-bas sur le canapé, une lecture interrompue (le dernier Léa Clermont-Dion). « Je suis complètement heureuse, vraiment ! »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Sarah-Maude Beauchesne

J’ai l’impression que je fais ce que je suis censée faire !

Sarah-Maude Beauchesne, autrice, scénariste et comédienne

C’est-à-dire écrire, poser des questions, décortiquer ses éternelles ambivalences existentielles à plein temps ? Un peu de tout cela, oui, mais beaucoup plus aussi. Sarah-Maude Beauchesne, qui nous a habitués à sa plume authentique avec Cœur de slush (porté au grand écran par Mariloup Wolfe l’été dernier), puis Fourchette (la websérie, inspirée de ses textes du même nom), entre autres, nous revient dans une sorte de suite logique, avec ses réflexions maternelles du moment, vieilles comme le monde, mais aussi totalement contemporaines.

« Parler de maternité, c’est le sujet le plus personnel jusqu’à présent, dit-elle. Plus j’y réfléchissais, et plus je me rendais compte que c’est directement relié à tous les aspects de ma vie. » Pensez : ses relations aux hommes, ses amitiés, sa sexualité, son rapport à la famille, et « toutes mes contradictions ! », résume-t-elle, pleine d’autodérision. Et ces aspects risquent de résonner très fort chez bien des lectrices (contradictions incluses !).

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Sarah-Maude Beauchesne

D’ailleurs, elle dédie son récit très largement « à celles qui ne veulent pas d’enfants, à celles qui en veulent, à celles qui en ont et qui regrettent, à celles qui en ont et qui tripent, à celles qui n’en ont pas et qui souffrent, à celles qui ne savent pas pantoute… »

Réglons ici la question : non, elle n’en arrive pas à un verdict à la fin de ses 200 pages de tergiversations. Toutes les portes restent plus ou moins ouvertes, et c’est aussi enrageant que voulu. « Tout ce que je sais, ma grande certitude, c’est qu’écrire me fait vraiment avancer. »

On s’en doutait, mais il y a plus, ajoute-t-elle, d’une réflexion que ne renierait pas Simone de Beauvoir :

Ma relation à l’écriture, c’est la principale raison pour laquelle je ne voudrais pas d’enfant !

Sarah-Maude Beauchesne, autrice, scénariste et comédienne

« Je le dis tout le temps : j’ai de la misère à croire que j’aurais autant de temps et d’énergie pour être aussi authentique dans mon écriture [avec des enfants]. Pour moi, l’écriture est une vocation. »

Dans le texte, Sarah-Maude Beauchesne revient sur son enfance, la maternité très assumée de sa mère, puis s’attarde longuement à ses relations aux hommes dans sa vingtaine, des histoires que ses fidèles lectrices connaissent bien. C’est qu’elles ne sont pas étrangères à son « ambivalence » actuelle, analyse-t-elle avec le recul. « C’est dur d’avoir envie de procréer quand on ne se sent pas en sécurité. » Parce que non, ses histoires d’amour passées n’ont pas été des plus épanouissantes, ni émotivement ni sexuellement.

À ce chapitre, l’autrice ose une transparence totale. « Ça m’a pris du temps avant de faire l’amour pour moi, dit-elle en grimaçant. C’est gênant de le dire, surtout pour une femme qui a parlé beaucoup de sexualité dans sa vingtaine. […] Mais je pense qu’on ne parle pas assez de nos insatisfactions ! »

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Sarah-Maude Beauchesne

C’est difficile de s’avouer que faire l’amour avec des hommes, c’est épeurant. Même à 30 ans !

Sarah-Maude Beauchesne, autrice, scénariste et comédienne

Entre autres révélations sans filtre, Sarah-Maude Beauchesne se demande si elle aurait autant tergiversé si elle s’était donné le « droit » d’aimer les femmes. « C’est une question qui était inexistante de ma naissance à ma vingtaine : il fallait être hétéro à Granby en 2010… » Et puis en arrivant à Montréal, avec un cercle d’amies si fort, elle a fini par oser la question : « On est tellement douées pour la communauté et pour communiquer, comment ça se fait qu’on ne fait pas des bébés ensemble ? »

C’était avant de rencontrer son amoureux actuel, début trentaine, un homme nouveau avec qui elle s’est fiancée et envers qui elle s’est promis une « romance » sans compromis.

Comme elle n’est pas à une contradiction près, Sarah-Maude Beauchesne précise qu’elle sait qu’elle ferait sans doute une bonne mère, comme elle a l’instinct maternel, tout particulièrement avec ses amies, qu’elle se fait un devoir de prioriser dans sa vie.

« Je suis une personne tellement pleine de contradictions », rit-elle. À preuve : « En plus, je veux qu’on arrête de me poser la question [de la maternité], mais j’écris 200 pages sur le sujet ! »

Si elle « penche » vers la non-maternité ces jours-ci, c’est entre autres parce qu’elle voit peu de modèles autour d’elle qui semblent « baigner dans la romance ». Elle voit dans sa réflexion un geste quasi « militant ». « Une femme sans enfant, ça dérange. J’ai envie d’être cette femme qui défie le consensus social. »

Un geste militant qui s’inscrit aussi dans son identité féministe, précise-t-elle. « C’est prouver que mon corps m’appartient. […] Et je peux être maternelle pour d’autres ! »

Sarah-Maude Beauchesne peut être maternelle aussi pour la fille de son amoureux : sa belle-fille. Et voilà que d’une énième, et non la moindre, contradiction, elle conclut : « C’est sûr qu’être en amour avec quelqu’un qui est père et qui excelle dans ce rôle, c’est challengeant ! »

Faire la romance

Faire la romance

Cardinal

199 pages