Avec L’iris blanc, le 40e album des aventures d’Astérix, le scénariste Fabcaro redonne de l’élan à la série BD franco-belge la plus durablement marquante des six dernières décennies. Entretien avec le nouvel élu et Didier Conrad, au dessin depuis 10 ans, qui signent ensemble un des meilleurs albums depuis longtemps.

Avoir l’occasion de créer un nouvel album d’Astérix, c’est un peu comme gagner le gros lot. Pas seulement parce que c’est un titre qui bénéficie d’un tirage monumental – 5 millions d’exemplaires dans le monde –, mais parce que le petit gaulois et ses copains figurent parmi les héros de bande dessinée les plus universellement connus. « Tout le monde veut faire un Astérix », résume Fabcaro.

Le scénariste, entre autres connu pour son humour parfois absurde, a été élu au terme d’un concours orchestré par les éditeurs et ayants droit de Goscinny et Uderzo. Comme Didier Conrad il y a une dizaine d’années et qui, lui a aussi, a eu l’impression de remporter le gros lot. « Le genre de gros lot pour lequel on doit travailler… après l’avoir gagné ! », s’amuse le dessinateur.

IMAGE TIRÉE DE L’IRIS BLANC, PUBLIÉ AUX ÉDITIONS ALBERT RENÉ

L’iris blanc

La chimie opère entre les deux créateurs, avec qui La Presse s’est entretenue par visioconférence en début de semaine en vue de la sortie, ce jeudi, du nouvel album. L’iris blanc, né d’un synopsis de Fabcaro, est assurément l’un des albums d’Astérix les plus réussis depuis longtemps, ce qui inclut même la période durant laquelle Uderzo a fait vivre la série tout seul.

Un « album village »

Fabcaro a vite pris deux décisions avant de développer son histoire : il voulait faire « un album village », c’est-à-dire qui se déroule pour l’essentiel chez les irréductibles Gaulois et pourrait mettre à contribution les voisins d’Astérix et d’Obélix qu’on connaît si bien, et renouer avec l’esprit de l’ère Goscinny. « C’est la période avec laquelle j’ai grandi », explique le créateur de 50 ans.

PHOTO CHRISTOPHE GUIBBAUD, FOURNIE PAR LES ÉDITIONS ALBERT RENÉ

Fabcaro, auteur de L’iris blanc

Goscinny ne s’attachait pas trop à l’histoire : elle était un prétexte pour faire de l’humour. Ce qui comptait, c’est ce qui se passait à l’intérieur de cette trame narrative. Astérix, c’est de l’humour avant d’être de l’aventure. Un humour bienveillant, inclusif, qui ne rit pas contre, mais qui rit avec.

Fabcaro, auteur de L’iris blanc

L’iris blanc rappelle des albums comme Le devin et La zizanie. Comme dans ces aventures parues au début des années 1970, la quiétude du village est bousculée par l’arrivée d’un étranger. Ici, il s’agit d’un Romain appelé Vicévertus, envoyé secret de Jules César. Il met la pagaille au village gaulois tout en appliquant la méthode de pensée positive qu’il a développée pour motiver les troupes romaines démoralisées et moins désireuses que jamais de recevoir des baffes.

« Ce qui m’intéressait, c’était de m’attarder à ceux qui abusent de leur pouvoir pour avoir une emprise sur des gens en perte de repères », explique Fabcaro. Didier Conrad et lui exploitent avec cette histoire un procédé déjà exploité par Goscinny et Uderzo, c’est-à-dire le fait de prendre un thème contemporain – le marché du prêt-à-penser est très florissant en Occident – et de le parachuter dans le village des irréductibles Gaulois et voir ce que ça donne.

PHOTO JOËL SAGET, AGENCE FRANCE-PRESSE

Fabcaro et Didier Conrad

Il s’agit d’une gymnastique moins évidente qu’il n’y paraît. Didier Conrad dit en outre avoir beaucoup travaillé pour développer certaines expressions (dont une moue « déprimée » d’Abraracourcix) et la tête de Vicévertus, qui est en fait un mélange du philosophe et écrivain français Bernard-Henri Lévy et de Dominique de Villepin, ancien premier ministre de France. Créer un personnage qui renvoyait seulement à l’un ou à l’autre n’aurait pas fait l’affaire, signale Fabcaro, en raison de leur connotation politique. « On ne voulait pas passer un message politique », précise-t-il.

L’iris blanc, comme les meilleurs Astérix, se moque gentiment des travers des gens du village, qui sont aussi les nôtres. On sait depuis des années déjà que Didier Conrad maîtrise l’univers visuel d’Astérix, mais ce qui surprend agréablement avec ce 40e album, c’est qu’on sent dès les premières pages que le ton y est : les jeux de mots plutôt fins, les clins d’œil, la psychologie des personnages et un maillage très étroit avec la mise en scène du dessinateur. Obélix, comme d’habitude, suit le train en marche, mais Astérix (avec la complicité discrète de Panoramix) parvient une fois de plus à déjouer les machinations de César. Et c’est exactement ce qu’on attend de lui.

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L’iris blanc

L’iris blanc

Les Éditions Albert René

48 pages

8/10