L’écrivain français Mathieu Lindon sera l’un des invités du festival littéraire Metropolis bleu, qui commence jeudi dans la métropole. À quelques jours de sa venue, nous l’avons joint à Paris pour discuter de son nouveau livre, Une archive, dans lequel il revient sur ses souvenirs de son père, l’éditeur Jérôme Lindon.

Figure mythique de l’édition française, celui que même ses enfants appelaient Jérôme a dirigé Les Éditions de Minuit de 1948 à sa mort, en 2001. Si Une archive laisse entrevoir l’homme de caractère qu’il a été, le livre permet surtout de comprendre le sens de ses combats et l’importance de son engagement, qui l’a poussé entre autres à publier nombre d’ouvrages controversés (notamment durant la guerre d’Algérie).

« C’était des combats que tout le monde s’accorde maintenant à trouver qu’ils étaient justes, souligne Mathieu Lindon. Par exemple, quand il a commencé à se battre en faveur du prix unique du livre, il n’y avait personne pour lui parce que tout le monde trouvait que c’était très bien de vendre des livres moins cher. Il a fallu qu’il explique qu’en fait, ça allait augmenter leurs prix, que ça allait tuer une partie de la création. Et cette lutte qu’il avait commencée en solitaire — le principal syndicat de la librairie en France était contre lui — a abouti sur la première loi votée à l’unanimité en 1981, quand François Mitterrand a été élu. »

Plutôt réticent au principe d’une biographie — comme son père, note-t-il au passage —, Mathieu Lindon a longtemps évité d’écrire sur celui-ci alors qu’on l’avait contacté pour le faire quelques semaines seulement après sa mort.

Même quand j’ai commencé à écrire ce livre, je ne me rendais pas compte que je parlais de mon père. C’est un privilège des écrivains de pouvoir ressusciter une période, parfois de leur propre vie. Ça m’a à la fois ému et fait plaisir.

Mathieu Lindon

Dans un sens, son père est resté très présent depuis sa mort, confie Mathieu Lindon. « Ce livre, c’était une manière différente de revenir sur mon enfance et ma jeunesse », dit-il. Différente, puisqu’il avait déjà abordé cette période de sa vie dans un titre précédent, En enfance, sans toutefois évoquer Les Éditions de Minuit — ce qui n’était pas possible, à son avis, tant que sa sœur en était encore la présidente (jusqu’au rachat de la maison par Gallimard, en 2021).

« Un pessimiste enthousiaste »

Une archive n’est pas uniquement un récit très personnel, c’est l’histoire d’une famille entourée d’écrivains — de Samuel Beckett à Jean Echenoz —, dont le patriarche a été une figure décisive du milieu littéraire parisien durant toute la seconde moitié du XXe siècle. À la mort de Jérôme Lindon, le quotidien Le Monde avait demandé à des éditeurs et écrivains d’évoquer leurs souvenirs de celui-ci ; l’éditeur de Mathieu Lindon, le créateur de P.O.L Paul Otchakovsky-Laurens, l’avait alors décrit comme « un pessimiste enthousiaste », expression qui avait alors frappé son fils et qu’il rappelle dans le livre.

Mon père voyait toujours la catastrophe comme une possibilité, très souvent comme une vraisemblance ; il était très sombre sur l’avenir de l’édition et de la librairie. Mais il aimait se battre et le fait de craindre que ça se passe mal ne l’empêchait pas d’essayer de se démener pour que ça se passe bien — souvent avec succès. Il avait une énergie folle et un enthousiasme parce qu’il savait défricher ses propres chemins — et pour la littérature et pour l’édition.

Mathieu Lindon

En plus de s’attarder sur ses nombreux combats et ses prises de position, Mathieu Lindon évoque également dans Une archive ses liens ambivalents avec son père et le désir de celui-ci de le voir suivre ses traces. Mais le fils confie qu’il ne s’imaginait pas travailler avec lui. « Je crois que j’ai compris que c’était mieux pour notre relation ; pour nous, pour moi. Je crois même que j’ai bien fait… mais enfin, on ne sait jamais », lance-t-il en riant.

Mathieu Lindon participera à Metropolis bleu à la discussion L’édition très littéraire a-t-elle un avenir ? (avec Fernando Pascual, Jorge Carrión et Mélikah Abdelmoumen), vendredi à 11 h, ainsi qu’à la rencontre Jérôme Lindon vu par son fils, samedi à 11 h 30.

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Une archive

Une archive

P.O.L

240 pages

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PHOTO HÉLÈNE BAMBERGER, FOURNIE PAR P.O.L

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L’écrivain et réalisateur franco-argentin Santiago Amigorena sera de passage à la librairie Gallimard jeudi, à 18 h, pour s’entretenir de son œuvre magistrale, en particulier de ses deux plus récents titres parus chez P.O.L, Le Ghetto intérieur (2019) et Le Premier Exil (2021). Il participera également, samedi, à une discussion avec le cinéaste argentin Andrés di Tella (en anglais et en espagnol), ainsi qu’à une table ronde avec Maxime Raymond Bock et Louis Hamelin sur l’avenir d’une œuvre (respectivement à 10 h et à 17 h 30).

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PHOTO VALERY HACHE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

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Voilà une rencontre qui risque fort de se révéler passionnante puisque ces deux écrivains — le premier est français, le second, italien — ont la montagne comme point commun de leurs magnifiques romans ; l’entretien sera animé par Stéphan Bureau, samedi, à 18 h 30. À noter que Sylvain Tesson recevra au festival le prix Planète littérature Metropolis bleu, décerné à une œuvre littéraire favorisant une plus grande conscience écologique, alors que le film inspiré du roman de Paolo Cognetti Les huit montagnes sera projeté au cinéma du Musée, samedi à 13 h 30.

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