Avec Revolusi, l’historien belge David Van Reybrouck signe un livre passionnant sur la guerre d’indépendance indonésienne.

En 2019, un sondage YouGov britannique a demandé quel pays européen était le moins honteux de son passé colonial.

Les Pays-Bas sont arrivés bons premiers, avec près de 50 % des répondants se disant fiers de leur ancien empire, loin devant les Britanniques (32 %), les Français (26 %) et les Belges (23 %).

Un « pétage de bretelles » totalement injustifié, à en croire l’historien belge David Van Reybrouck. Son nouveau livre, le passionnant Revolusi, démontre de manière convaincante que les Néerlandais n’ont pas été mieux que les autres puissances coloniales. Ils ont peut-être même été pires.

David Van Reybrouck a fait sensation en 2010 avec son livre sur l’histoire du Congo, œuvre totale, largement encensée par la presse européenne. Du même calibre, Revolusi s’attaque cette fois à l’histoire sanglante de l’indépendance indonésienne, après 300 ans de domination hollandaise.

L’Indonésie ? On vous voit sourciller.

Pour la plupart d’entre nous, ce pays situé à l’autre bout du monde se résume grosso modo à un tsunami, un occasionnel attentat terroriste ou une carte postale en provenance de Bali.

Mais c’est oublier l’importance historique de cet archipel sud-asiatique, qui est actuellement au quatrième rang des pays les plus peuplés de la planète.

PHOTO STEFAN VANFLETEREN, FOURNIE PAR LA MAISON D’ÉDITION

David Van Reybrouck au Congo

Il faut savoir que l’Indonésie fut la première colonie à proclamer son indépendance, dès 1945, lançant par le fait même un irrépressible phénomène international, dont les conséquences se font encore sentir aujourd’hui.

Il faut aussi savoir que c’est Sukarno, le père de l’indépendance indonésienne, qui organisa en 1955 la fameuse conférence de Bandung consacrée à la décolonisation de l’Afrique et de l’Asie, un sommet catalyseur pour plusieurs pays en quête de liberté.

Pour David Van Reybrouck, ces deux évènements majeurs justifiaient à eux seuls l’écriture de Revolusi. Et c’est pourquoi il a consacré cinq ans de sa vie à cet ouvrage considérable, qu’il décrit à juste titre comme une « fresque ».

En 600 pages bien tassées, l’historien brosse le portrait d’une nation exploitée pendant plus de trois siècles, qui a profité de l’occupation japonaise et des lendemains la Seconde Guerre mondiale pour se soustraire au joug colonial, au terme d’une guerre d’indépendance brutale qui dura quatre ans et coûta 100 000 vies indonésiennes, contre environ 1000 morts du côté hollandais.

Grande et petite histoire

Le style n’a rien d’académique. D’ailleurs, David Van Reybrouck se dit « écrivain » autant qu’historien. C’est ce qui donne à Revolusi ce souffle imparable, qui happe d’entrée de jeu et donne l’impression de lire un roman.

L’auteur n’hésite pas à mettre dans son récit toute l’émotion et tous les détails pertinents pour raconter l’extrême violence de cette guerre d’indépendance. On y sent l’indignation de l’auteur, qui avoue avoir été « surpris » par ses nombreuses découvertes, incriminantes pour le colonisateur néerlandais.

Historien militant ? Il s’en défend. « Mais quand des bêtises ont été commises, il faut le dire aussi », dit-il, de chez lui, à Bruxelles.

En réalité, David Van Reybrouck se voit plutôt comme un historien ethnologue.

Comme Congo, Revolusi donne largement la parole aux acteurs et témoins de cette période trouble. Il a passé un an sur le terrain, interrogé près de 200 personnes, pour la plupart âgées de 90 ans ou plus. En Indonésie bien sûr, mais aussi aux Pays-Bas, au Japon et même au Népal, où il a retrouvé d’anciens Gurkhas de l’armée britannique. « Du travail archivistique en plein air », dit-il.

C’est ce mélange de grande et de petite histoire qui fait la force du bouquin. Au-delà des faits officiels, Van Reybrouck livre un récit fait de chair, d’os et de sang, qui permet un autre niveau de compréhension. C’était exactement le but : « Pour moi, les témoignages oraux sont une approche très démocratique de l’histoire, observe-t-il. C’est là qu’on trouve des vérités qu’on ne trouve pas dans les archives et les documents écrits. »

Prise de conscience

On peut s’étonner qu’un historien belge se mêle ainsi des affaires néerlandaises. David Van Reybrouck s’attendait d’ailleurs à ce que le livre soit mal reçu aux Pays-Bas. Mais à part quelques exceptions, dont le leader d’extrême droite Gert Wilders, ce fut tout le contraire. Revolusi s’est bien vendu et son auteur a été applaudi.

« Ce qu’on m’a dit souvent, c’est : heureusement que vous êtes Belge. Vous êtes un outsider. Vous avez l’objectivité », raconte-t-il.

Pour beaucoup de Néerlandais, Revolusi a même fait œuvre d’éducation. Car il vient combler une grande méconnaissance de cette part sombre de l’histoire nationale, longtemps niée par les manuels scolaires et le discours dominant.

« Pour beaucoup de gens, ce que je raconte est complètement nouveau. Ça leur permet de parler de ce sujet qui était tabou », explique l’historien.

Le sujet est encore délicat, « douloureux », dit-il. Mais le pays assume plus que jamais son passé colonial. En 2020 et 2022, le roi et le premier ministre ont même offert leurs excuses officielles à l’Indonésie, pour les crimes commis pendant la guerre d’indépendance. Un pas de plus vers la prise de conscience collective, à laquelle Revolusi a de toute évidence contribué.

Un autre sondage YouGov, et les résultats seraient probablement bien différents.

Revolusi

Revolusi

Actes Sud

628 pages