« C’est difficile de s’exiler à 30 ans… Il y a quelque chose qui meurt en nous… », dit le personnage de Fadi dans La fin du commencement. Cette bande dessinée signée Fadi Malek et Anne Villeneuve est l’un de deux livres, avec le roman Beyrouth-sur-Seine de Sabyl Ghoussoub, à aborder la question de l’exil cet automne.

Née d’une rencontre inattendue, La fin du commencement raconte l’arrivée à Montréal d’un Libanais qui a quitté son pays pour ne plus avoir à subir la pression familiale et sociale tout en dissimulant son homosexualité.

« Je dis souvent à Fadi que j’ai l’impression qu’il est mon Michel Tremblay de la littérature libanaise, souligne l’autrice et illustratrice Anne Villeneuve. Il a vraiment réussi à dépeindre des personnages de sa famille, les oncles, les tantes… Ça peut être vraiment très dur d’avoir une famille qui met beaucoup de pression sur toi, et je pense que ça, c’est universel. »

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Anne Villeneuve

Anne Villeneuve a rencontré Fadi Malek tout à fait par hasard, dans un café montréalais où elle s’installait pour travailler, en quête d’inspiration. Un café où les gens s’abordent sans gêne et où il l’a approchée, un jour, pour commenter ses dessins. « On a commencé à parler de choses et d’autres, puis le temps avançant, il a dû sentir qu’il pouvait me faire confiance et il a commencé à se dévoiler et à raconter sa vie », se souvient-elle.

L’amitié s’est installée tranquillement, suivie des confidences. « Plus ça avançait, plus j’avais l’impression de voir une bande dessinée sous mes yeux ; le scénario se faisait tout seul, je voyais les scènes de guerre [au Liban]. »

Fadi Malek avait à peine 14 ans lorsqu’il a entendu les premiers bombardements et dû se réfugier avec ses proches dans une cave, des scènes qui sont reproduites avec adresse dans la bande dessinée. Entre les retours en arrière, de son adolescence à ses études universitaires au Liban, on entrevoit son installation à Montréal, en 1999 — son premier hiver, Noël loin des siens, sa solitude.

Mais si c’est elle qui nous raconte tout ça, c’est parce qu’en fait, Fadi Malek est un pseudonyme.

  • Portrait de Fadi Malek, dessiné par Anne Villeneuve

    ILLUSTRATION FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

    Portrait de Fadi Malek, dessiné par Anne Villeneuve

  • Extrait de La fin du commencement

    PHOTO FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

    Extrait de La fin du commencement

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« Quand on a commencé à travailler sur la bande dessinée, il avait de la difficulté à aller profondément dans les scènes, explique l’autrice. Puis, j’ai compris qu’il avait toujours la crainte de se faire découvrir. Donc c’est là qu’est venue l’idée de publier sous un pseudonyme. À partir de ce moment-là, les canaux se sont ouverts et la création a été beaucoup plus lumineuse. »

Le fait de sortir de sa personne et de raconter cette histoire a eu un effet thérapeutique pour lui parce qu’il y avait des choses qu’il avait enfouies depuis longtemps et auxquelles il n’osait même pas penser.

Anne Villeneuve

Même s’il souhaite toujours rester dans l’ombre, Fadi Malek a tenu à répondre par courriel à notre question sur son exil. « Ma vie restera viscéralement liée au destin, voire aux peines de ces gens que j’ai laissés derrière moi », nous a-t-il écrit en revenant sur ce sentiment d’être désorienté et en perte de repères, dépeint dans la bande dessinée, qu’il a éprouvé à son arrivée. Mais il a trouvé dans sa terre d’accueil une liberté inespérée, ajoute-t-il, qui l’a aidé dans sa « marche vers [sa] reconstruction ».

Fils d’exilés

L’exil est également au cœur du roman Beyrouth-sur-Seine, où l’auteur, Sabyl Ghoussoub, se penche sur l’éloignement vécu par ses parents, qui ont quitté le Liban pour la France au début de la guerre civile, en 1975. « À l’âge de trente et un ans, je ne savais rien de leur passé, de leur arrivée à Paris, de leur guerre du Liban et de la souffrance qu’a été l’exil pour eux », y écrit-il.

PHOTO PATRICE NORMAND, FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Sabyl Ghoussoub

Comme dans La fin du commencement, le récit alterne entre passé et présent, en plus d’entremêler souvenirs personnels — de l’auteur, de ses parents – et faits historiques sur le conflit qui a ravagé le pays pendant 15 ans et qui a eu des répercussions jusqu’en France.

Le ton est loin d’être dramatique — il est même plutôt drôle, par moments, puisque Sabyl Ghoussoub dépeint ses parents avec humour et une profonde affection : les querelles entre son père et sa mère sur la date de leur arrivée à Paris, la manie de sa mère de lui servir à manger chaque fois qu’il leur rend visite ou encore celle de son père de remplir le frigo de boîtes de La Vache qui rit, « comme si la guerre allait éclater demain », le raille sa femme.

Puis le récit se fait plus introspectif, alors que l’auteur en vient à se questionner sur sa propre identité, et l’on comprend qu’il a voulu écrire ce livre par amour pour ses parents qui « pendant toute leur vie […] ont recréé sans s’en apercevoir Beyrouth à la maison ».

La fin du commencement

La fin du commencement

Nouvelle adresse

184 pages

Beyrouth-sur-Seine

Beyrouth-sur-Seine

Stock

308 pages