Son magnétisme est inégalé, sa tendance à prêcher aussi. Bono n’est pas seulement l’un des chanteurs les plus célèbres de l’histoire du rock, c’est aussi l’un des plus clivants. Lui-même se tape parfois sur les nerfs, avoue-t-il dans Surrender – 40 chansons, une histoire, livre autobiographique dans lequel il assume ses contradictions et expose aussi ce qui l’anime.

Un ton franc

On a déjà lu un livre où Bono se raconte lui-même, Bono par Bono, un recueil d’entretiens publié en 2005 par Michka Assayas. Or, même si ce livre était éclairant, il avait une lacune : il parlait plus de politique que de musique. Obsédé par sa campagne pour l’annulation de la dette des pays africains, il résistait à remonter le fil du temps pour se raconter, lui, et l’histoire de son immense groupe. Surrender corrige ça : Bono s’y ouvre avec franchise et met l’accent sur U2, de l’audition dans la cuisine de Larry Mullen Jr. aux plus grands stades du monde en passant par les studios où sont nées les chansons du groupe.

Trois hommes en colère

« Une maison ne suffit pas à faire un foyer », chante Bono dans Sometimes You Can’t Make It On Your Own, adressée à son père Bob. Le jeune Paul Hewson a perdu sa mère à 14 ans. Une absence douloureuse que son père, son frère aîné et lui ont enterrée dans le silence. Et la colère. Bono a trouvé dans la musique un exutoire à sa tragédie personnelle, mais aussi à la violence qui frappait l’Irlande durant son adolescence. La musique punk, d’abord : les Ramones, les Clash, les Sex Pistols. Et celle de U2. Il décrit le chaos des débuts, mais entrevoit déjà ce qui fera la force de son groupe. « Nous voulions fusionner avec notre public comme aucun groupe rock n’avait su le faire, écrit-il. Et, en tant que chanteur, c’était à moi de créer cette fusion, de provoquer une réaction chimique avec la foule […]  Il faut une sorte de tour de passe-passe pour que le groupe et le public se fondent l’un dans l’autre, un rituel pseudo-religieux qui finit par le devenir véritablement. »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

U2 en spectacle à Montréal en 2015

D’anecdotes en analyses

Pavarotti qui débarque en studio avec une équipe de télé, Michael Hutchence d’INXS tout nu dans une villa du sud de la France, Bowie en complet bleu électrique dans un pub de débardeurs de Dublin, Bono gâte ses lecteurs d’anecdotes amusantes. Il offre heureusement plus que ça : des observations sur la construction de la musique de U2 (les influences souterraines des psaumes et de l’opéra, par exemple), des scènes sorties du studio installé au Slane Castle avec Daniel Lanois et Brian Eno (pour Unforgettable Fire) ou dans la froideur de Berlin pour Achtung Baby, alors que le groupe est au bord de l’implosion. Bono se révèle aussi intéressant lorsqu’il parle de la musique des autres, qu’il s’agisse de la ressemblance qu’il perçoit entre Lou Reed et Van Morrison ou de l’intelligence élusive des textes de Sting et de Paul Simon. Il cerne souvent les choses en quelques phrases ou une image forte, comme lorsqu’il dit qu’il faut presque se déchausser pour écouter Radiohead, tant ce groupe commande le respect.

PHOTO LUDOVIC MARIN, AGENCE FRANCE-PRESSE

Bono en conférence de presse à Lyon, en France, le 1er novembre dernier

Un récit morcelé

Surrender ne raconte pas la trajectoire de U2 et de son chanteur de manière chronologique. Bono avance au gré d’associations d’idées, faisant souvent des bonds en avant ou en arrière de plusieurs décennies. Il peut passer de la création d’une chanson à une visite impromptue de Mikhaïl Gorbatchev chez lui à Dublin. Ce procédé garde le récit vivant, donnant l’impression d’un immense collage qui se révèle au fil des chapitres. Suivre ce fil, c’est littéralement entrer dans la tête du chanteur, apprendre à comprendre la foi qui le mobilise, mais aussi le réalisme qui l’incite à serrer des mains à Washington ou à Davos. Et c’est là la grande force de ce livre : sa capacité à donner une signification aux évènements au-delà des scènes racontées.

Esprit de clan

Bono le répète : il serait incapable de pondre la moindre chanson sans ses trois acolytes. Et pourtant, c’est souvent lui qui leur gueule dessus parce qu’ils ne sont ni assez bons ni assez inventifs… Ce que ses amis lui pardonnent visiblement depuis des décennies. « Je ne suis que le quart d’un artiste sans Edge, Adam et Larry », écrit-il. U2 est un clan tissé serré et loyal : Joe O’Herlihy, au son, est avec le groupe depuis 1978 ; Willie Williams (éclairages) depuis 1983. Bono consacre aussi de belles pages à Paul McGuinness, agent du groupe pendant trois décennies, qui a cru en U2 avant le groupe lui-même. La figure qui domine, entre les lignes, c’est Ali, sa femme, son pilier dès les débuts de U2. Comme quoi il y a des moments dans la vie où les astres s’alignent.

Surrender – 40 chansons, une histoire

Surrender – 40 chansons, une histoire

Fayard

666 pages

8/10