« Je suis fait d’égales parts de pessimisme et d’optimisme », confie Stanley Péan, qui signe avec Crépusculaires un recueil de nouvelles, son premier en 15 ans, reposant sur le même fragile équilibre.

« J’ai l’âge que j’ai », lâche en riant l’écrivain qui publiait son premier livre en 1988, à seulement 22 ans, et qui s’est beaucoup consacré au cours des dernières années au genre de l’essai avec le magistral De préférence la nuit (2019). « Moi aussi, j’ai eu des blessures, des chagrins, des trucs auxquels on pense qu’on ne survivra pas, même si on finit par se rendre compte qu’on survit toujours. À 56 ans, on ne va pas se jeter en bas d’un balcon parce que ça n’a pas marché avec la personne qu’on aime. »

Quoi faire plutôt ? Malgré tout, continuer d’y croire, à l’instar des personnages qui peuplent Crépusculaires, scintillant recueil de nouvelles dans lequel des êtres éprouvés tentent de ne pas désespérer de leurs amours et du monde abêtissant dans lequel ils vivent, et qui s’accrochent à ces nourritures essentielles que sont la littérature et la musique.

On aura tôt compris que le crépuscule auquel renvoie le titre est autant celui du soleil qui vient de se coucher que celui du soleil qui s’apprête à se lever. Portée par cette mélancolie propre à la conscience que tout bonheur finit un jour par s’émousser, mais aussi par la joie de savoir que chaque matin renouvelle la possibilité de découvrir sa nouvelle chanson ou sa nouvelle personne préférée, l’écriture de Stanley Péan avance entre tristesse et gratitude.

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Stanley Péan

Gratitude notamment envers les créateurs qu’il admire, dont Claude Mathieu. Dans une nouvelle intitulée « Bootleg », l’alter ego de Péan, Marvin Courage, tente le diable afin d’ajouter à sa collection un disque depuis longtemps convoité, un clin d’œil à la nouvelle « Le pèlerin de Bythinie » tirée de La mort exquise (1965), un des trois seuls livres de cet écrivain québécois tristement méconnu.

« C’est un cas terrible de Mozart assassiné », explique Péan au sujet d’un des rares auteurs de son époque ayant osé le fantastique et qui fera le choix du silence après avoir été « descendu en flammes par le camp des nationalistes joualisants, parce qu’il écrivait dans un français de dictionnaire, et par les tenants du réalisme psychologique, qui ne comprenaient pas ses histoires de plantes carnivores et de voyages dans le temps ».

Haïti mon pays

Né à Port-au-Prince, Stanley Péan arrive au Saguenay alors qu’il n’a que 8 mois. Dans la foulée du rapport Parent, le Québec engage nombre de professeurs, parmi lesquels son père, qui enseignera la littérature à Jonquière. Le jeune Stanley est, lui, conquis par la littérature grâce à deux « chocs initiaux » : Albert Camus – il lit L’Étranger à 14 ans – et Twilight Zone, la mythique série dont plusieurs épisodes étaient scénarisés par d’authentiques écrivains.

Si la pandémie ainsi qu’un climat politique tendu l’ont tenu loin du pays de ses origines, Crépusculaires devient l’occasion d’un retour en terre natale, par l’intermédiaire de la fiction. Dans « Traversée du Cap avec l’aïeul », une femme se rend à Cap-Haïtien en compagnie des cendres de sa mère, pendant que l’accompagne partout où elle va le spectre du poète national, Oswald Durand (1840-1906), qui est aussi, par ailleurs, I’arrière-arrière-arrière-grand-père de Stanley Péan.

Quand j’étais jeune, ça me tapait sur les nerfs qu’on me rappelle que si j’étais écrivain, c’était grâce au sang d’Oswald. Moi, je crois au libre arbitre. Si c’est le sang d’Oswald qui fait que je suis écrivain, tous mes frères devraient être écrivains.

Stanley Péan

Il sourit. « Mais depuis, j’ai fait la paix avec Oswald. »

Pessimisme incurable

En août dernier, la quotidienne radiophonique de Stanley Péan sur les ondes d’ICI Musique, Quand le jazz est là, passait de sa case horaire de 17 h 30 à 20 h à celle, plus tardive, de 22 h à minuit. La migration bouleversa les habitudes de nombreux « amis de la note bleue », comme l’animateur les surnomme, pour qui l’apéro ne pouvait se siroter qu’en sa compagnie.

Flatté, l’homme de radio, par la levée de boucliers provoquée sur les réseaux sociaux par ce changement ? « Ça ne m’a pas étonné en tout cas », avoue celui qui remportait l’été dernier le prix Bruce-Lundvall, remis par le Festival international de jazz de Montréal à une personnalité non musicienne ayant contribué de manière exceptionnelle au rayonnement du jazz. « Le jazz était dans cette case horaire depuis 25 ans. Une bonne partie de nos auditeurs écoutent la radio comme on va à la messe, et on les a brusqués de façon cavalière, du jour en lendemain. »

Qu’y a-t-il de plus haïtien chez Stanley Péan ? « Il y a un fatalisme chez moi, hélas », répond-il. Un fatalisme que l’on reconnaît chez plusieurs de ses personnages, accablés par une époque tonitruante, où tout le monde parle et personne n’écoute. « Mais j’essaie de croire qu’il y a aussi chez les Haïtiens un amour du mystère. » Un mystère, celui de la force du lien qui unit les êtres entre eux, que Crépusculaires célèbre, sans jamais avoir l’arrogance d’entièrement l’éclaircir.

Crépusculaires

Crépusculaires

Mains libres

204 pages