Sara Hébert tombe un jour dans une friperie sur la couverture rose paparmane de L’encyclopédie de la femme canadienne (1966), dans laquelle Michelle Tisseyre offre « des solutions aux femmes pour résoudre les problèmes qui les assaillent ». Une même ambition anime Bijou de banlieue, bien que dans un esprit beaucoup plus punk. « Je me suis demandé, dit l’autrice et collagiste, qu’est-ce qu’on trouverait dans les magazines féminins si les filles qu’on y voit étaient nos amies, pour vrai. »

« Du plus loin que je me souvienne, raconte Sara Hébert, j’ai toujours fait des moustaches et des dents dans les magazines de madames. » Un geste de douce subversion — humaniser ces figures de perfection en les enlaidissant — est depuis devenu un art à part entière pour l’autrice, qui lance avec Bijou de banlieue son premier « vrai » livre, mais qui a signé depuis une douzaine d’années plusieurs zines coiffés de titres malpolis comme Salade de truie ou Comment devenir une grosse chienne.

Née à Laval, Sara Hébert, 37 ans, passe son adolescence à Mirabel, mais prend le plus souvent possible l’autobus afin d’assister à Montréal à des spectacles punk, où elle se reposait d’un foyer familial parfois orageux. Ce n’est pourtant qu’en 2010, lorsqu’un amoureux l’emmène à Expozine, qu’elle entre en contact avec la communauté indéniablement punk du zine, mot désignant une petite publication artisanale et volontairement fruste, créée avec les moyens du bord et vendue pour une « poignée de change ».

Sara Hébert rédigeait un mémoire sur les journaux savants mexicains du XVIIIsiècle au moment de sa rencontre avec cette effervescente communauté d’artisans de la débrouille — la prochaine édition d’Expozine a lieu les 19 et 20 novembre à l’église Saint-Arsène. « J’étais juste comme : “Holy shit que c’est hot que ça existe ! Voyons donc que je n’avais jamais entendu parler de ça avant.” »

Un style à elle

Le mémoire prend le bord, et Sara Hébert se façonne rapidement un style à elle en jouant du ciseau dans de vieux exemplaires des années 1960 de magazines comme Marie Claire, dont elle détourne les photos à l’aide de messages insolents, enjoignant aux femmes de rejeter tous les modèles.

Une esthétique kitsch, quelque part entre la bienveillance de Janette Bertrand et le doigt bien droit du Riot grrrl, entre les sourires immaculés du défunt magazine Madame au foyer et les kamikazes de Josée Yvon, qui trouve son aboutissement dans Bijou de banlieue, une « autofiction satirique illustrée » dans laquelle Madame Bijou dispense « réflexions et conseils » autour de sept grandes questions, dont « Pourquoi est-ce que je m’accroche aux princes tout croches ? » et « Ai-je le droit d’exister telle que je suis ? ».

  • Collage tiré de Bijou de banlieue

    IMAGE FOURNIE PAR L’AUTRICE

    Collage tiré de Bijou de banlieue

  • Collage tiré de Bijou de banlieue

    IMAGE FOURNIE PAR L’AUTRICE

    Collage tiré de Bijou de banlieue

  • Collage tiré de Bijou de banlieue

    IMAGE FOURNIE PAR L’AUTRICE

    Collage tiré de Bijou de banlieue

  • Collage tiré de Bijou de banlieue

    IMAGE FOURNIE PAR L’AUTRICE

    Collage tiré de Bijou de banlieue

1/4
  •  
  •  
  •  
  •  

Et si l’ironie incendiaire de Sara Hébert aiguille chacun de ses collages, cet humour couve toujours la crainte que la proverbiale femme d’aujourd’hui, après trois vagues de féminisme, ne se soit pas libérée des domestications que mettent en scène les images d’Épinal qu’elle détourne.

« De nombreuses femmes essaient encore de s’épanouir à travers le couple, le mariage, la famille. C’est imposé comme des trucs à réussir », observe celle qui a longtemps travaillé à CISM et qui est aujourd’hui réalisatrice à ICI Musique.

La fille misérable, dans un film, dès qu’elle rencontre un gars, ça va mieux. On se fait mettre dans ces cases-là dans les médias. Les magazines féminins, c’est tellement un matériau violent et qui va avoir une influence, qu’on le veuille ou non, sur la confiance en soi.

Sara Hébert

Journal intime d’une jeune femme qui met constamment ses propres besoins de côté, Bijou de banlieue repose aussi sur des textes d’une phénoménale transparence, souvent burlesques, parfois tragiques, dans lesquels Sara Hébert parle de ses rencontres sentimentales, de son parcours professionnel atypique et de masturbation — Bijou de banlieue est en ce sens le guide parfait de la dame qui se prend en main, au figuré comme au propre.

Son encyclopédie prend ainsi parfois les allures d’un concours du gars le plus veule ou carrément tata, dont la narratrice tolère les paresses et les inconsistances avec une abnégation digne de Thérèse d’Avila.

Toutes mes amies ont ce genre d’histoires de dates ou de relations horribles. Pourquoi on accepte ça ? Le gars a l’air froid, pas smatte, mais j’ai dit que j’irais chez lui, alors pour ne pas lui faire de peine, je vais aller chez lui. Il y a derrière ça l’idée de ne jamais vouloir blesser.

Sara Hébert

Une femme qui non seulement ne blesse pas l’autre, mais en plus prend soin de tout un chacun : telle est l’archétype que célébrait L’encyclopédie de la femme canadienne et que renverse Bijou de banlieue. « On est encore nombreuses à choisir les sentiments des autres avant les nôtres, regrette Sara Hébert. La publicité aimerait nous faire croire que la liberté, c’est une gaine, mais ce n’est crissement pas ça, la liberté. »

Bijou de banlieue

Bijou de banlieue

Marchand de feuilles

352 pages