L’immense poète et essayiste Jacques Brault, qui nous a quittés cette semaine, laisse nombre d’orphelins et d’orphelines dans le monde de la littérature québécoise. Sa grande culture n’avait d’égale que son humilité, qualités qui ont fait de lui une véritable inspiration au cours des décennies.

Jacques Brault a rejoint son ami Gaston Miron au panthéon des plus grands poètes québécois. Le premier avançait « sur la pointe des pieds », l’autre favorisait davantage « la criée du salut », mais les deux habitaient une « espérance désespérée ».

Le romancier et essayiste Yvon Rivard était un ami de Jacques Brault. Ils ont travaillé ensemble à la revue Liberté et à Radio-Canada. Au début des années 1990, le poète lui avait demandé de choisir et de présenter ses textes dans une mini-anthologie préfacée par Hélène Dorion et publiée en 1996.

« Comme romancier, je ne me sentais pas prêt et il m’a dit qu’il m’attendrait, tout simplement. Il voulait l’œil du prosateur. Sa poésie se méfie de son propre pouvoir et de sa magie. Le grand objet de son écriture, c’est le temps, comme le démontre son chef-d’œuvre, Moments fragiles. Mon texte pour l’anthologie s’intitulait “Poésie inachevée, maison ouverte”. Sa poésie nous ouvre aux quatre vents, mais nous met sur la piste de ce que nous sommes. »

Jacques Brault a été lauréat de pratiquement tous les prix littéraires québécois et canadiens pour sa poésie et ses essais. Il a aussi remporté trois Prix littéraires du Gouverneur général : Quand nous serons heureux (théâtre), Agonie (roman) et Transfiguration (traduction).

Un grand essayiste

Même si ses recueils assureront sa postérité, Yvon Rivard souligne qu’il était également un grand essayiste. Le poète aimait bricoler l’essentiel avec les mots et la langue, tel un artisan admirable.

« Jacques, c’était une bibliothèque en soi. Son livre Miron le magnifique et son étude critique de Saint-Denys Garneau sont très beaux. Il a même travaillé à une traduction de la Bible avec Marie-Andrée Lamontagne. On ne peut pas trouver mieux en littérature que Jacques Brault. »

Né à Montréal, le poète a enseigné pendant près de 40 ans à l’Université de Montréal où il avait lui-même étudié. Spécialiste du Moyen Âge, il avait aussi étudié à l’Université de Poitiers et à la Sorbonne.

Sa poésie respirait pourtant ses origines modestes. Les clochards et autres pesteux peuplaient ses livres qui n’hésitaient jamais à dialoguer avec la mort. Les saisons, dont l’automne était sa préférée, sont également très présentes chez ce poète non lyrique, écrivain du dépouillement, voire du silence.

« Sa poésie est très fidèle à l’esprit de pauvreté, dit encore Yvon Rivard. La tendance dans laquelle il s’inscrivait est celle de la voix qui veut se taire, s’effacer pour revenir à ce qui existait avant la parole, à l’aube du monde. »

Son neveu, le directeur du Conseil des arts du Canada, Simon Brault, affirme qu’il trouvera toujours consolation dans les livres de son oncle malgré la tristesse de sa disparition. « La poésie est notre refuge et Jacques l’a agrandi et l’a embelli à jamais. »

Gentil et discret

La poète et essayiste Hélène Dorion explique que c’est par les écrits de Jacques Brault qu’elle est venue à la poésie. Elle le décrit comme un homme d’une grande gentillesse qui aimait la discrétion. Elle a ensuite travaillé avec lui comme directrice aux Éditions du Noroît.

« C’est une perte profonde. Il a une très grande importance dans ma vie d’écrivaine. Il a toujours su lier dans son écriture l’universel et l’intime. Dans la forme, d’un livre à l’autre, il s’est toujours renouvelé. C’est un peu cliché de le décrire surtout comme un contemplatif, parce que son écriture bougeait, était toujours en chemin. »

À la tête du Noroît, Hélène Dorion avait eu l’idée d’enregistrer des lectures du poète que l’on peut retrouver sur le web.

C’est important de conserver les voix de nos poètes. Il ne faisait pas beaucoup de lectures, mais sa voix basse, grave était à l’image de ce qu’il écrivait avec cette puissance fragile. Il n’y avait pas de différence entre l’écrivain, le professeur et le poète.

Hélène Dorion

Également enseignante de littérature au cégep de Rimouski, l’écrivaine Marie-Hélène Voyer le cite souvent dans ses cours et dans son essai L’habitude des ruines, qui vient de recevoir le prix Jovette-Bernier 2022.

« Je l’avais lu quand j’étais au cégep et j’avais été foudroyée par la langue qu’il utilisait et ce qu’il disait. Je ne croyais pas qu’on avait le droit d’écrire comme ça. Le chemin était important pour lui. Il écrivait par épluchures dans une langue errante. Mes étudiants s’y intéressent parce qu’il les ramène vers l’intérieur, alors que tout aujourd’hui vise l’extériorité. »

Dans sa grande sagesse, pendant que « les journaux criaient à tue-tête », disait Jacques Brault, lui, le poète, écoutait « pour la millième fois le commencement du monde ».

Pour lire et relire Jacques Brault

Poésie

Mémoire, Librairie Déom (1965)

L’en dessous l’admirable, Presses de l’Université de Montréal (1975)

Moments fragiles, Le Noroît (1984)

Il n’y a plus de chemin, Le Noroît (1986)

L’artisan, Le Noroît (2006)

Essais

Miron le magnifique, Presses de l’Université de Montréal (1966)

Alain Grandbois, Seghers (1972)

Saint-Denys Garneau, avec Benoît Lacroix, Presse de l’Université de Montréal (1970)

Dans la nuit du poème, Éditions du Noroît (2011)

Récit

Agonie, Éditions du Sentier (1984)