La femme désirante n’a eu sa place que très tard dans la littérature, où on lui a préféré de très loin le rôle d’objet du désir. Probablement parce que sa puissance fait peur, estime Anaïs Barbeau-Lavalette, qui ne cache pas ses intentions dès les premières pages : Femme fleuve sera un livre sur les embrasements du corps, le sien, dont on suivra les mouvements telle une marée.

« J’ai envie d’aller dans l’excès et d’en faire une révolution. D’être désirante comme être intelligente, comme être douce, comme être téméraire. D’être désirante comme un trait de caractère. »

Cet aspect était déjà un peu présent dans Femme forêt, sorti il y a à peine un an. Mais il devient le cœur de Femme fleuve, dans lequel elle raconte une passion extraconjugale foudroyante avec un peintre rencontré lors d’un séjour en solitaire sur le bord du fleuve. Résumer ainsi l’affaire semble banal, mais c’est compter sans la manière Anaïs Barbeau-Lavalette, les phrases courtes et limpides, la poésie qui court entre les lignes, l’histoire racontée par fragments, les liens avec le passé, les passages entre le très intime et l’infiniment grand. Elle y parle d’héritage et d’histoire de l’art, d’amour et de vieillesse — très émouvant passage avec sa tante Janine –, y croise des personnages plus grands que nature, et garde toujours cette vision périphérique qui fait que ses récits sont dotés de multiples couches qui se soulèvent au fur et à mesure.

L’autrice, cinéaste et dramaturge, qui a l’habitude d’être au cœur de ses livres depuis La femme qui fuit, qui était consacré à sa grand-mère maternelle Suzanne Meloche, brouille les cartes ici avec un alter ego dont elle a changé quelques paramètres, par pudeur probablement. Mais c’est sa voix qu’on entend quand même, ce qui crée une forme de décalage qu’on ne ressentait pas dans ses autres œuvres, accentué par la narration qui passe du je au tu quand elle parle de son amant… et de ce qu’ils font ensemble.

Éloge de l’instant présent tout en sensations et en sensualité, Femme fleuve est un voyage charnel et fervent, où chaque détail d’un amour fugace et profond — oui ça se peut — est magnifié. Et on y retrouve l’éternel combat qui hante l’œuvre romanesque d’Anaïs Barbeau-Lavalette, celui entre l’appel des racines et de rêves de fuite, dont l’issue était claire dans Femme forêt, moins dans Femme fleuve — la débâcle guette ici.

Il y a quelque chose d’admirable dans cette mise à nu et dans ce désir brandi tel un étendard, tellement qu’il met parfois mal à l’aise. Mais c’est probablement pour cette raison que l’entreprise en valait la peine : le désir féminin, dans toute son intensité et sa force, a sûrement encore besoin d’être nommé et libéré. Et de battantes comme Anaïs Barbeau-Lavalette pour le raconter, qui le prennent à bras-le-corps et qui l’embrassent. Envers et contre tout.

Femme fleuve

Femme fleuve

Marchand de feuilles

252 pages

7/10