L’écrivaine islandaise Auður Ava Ólafsdóttir n’était pas venue au Québec depuis cinq ans. Nous avons profité de son passage aux festivals FIKA(S) et Québec en toutes lettres, cette semaine, pour nous entretenir avec elle de son lumineux dernier roman, ainsi que de celui à paraître.

La dernière fois que nous l’avions rencontrée, c’était en 2017, à quelques mois de la parution de son roman Ör. Depuis, Auður Ava Ólafsdóttir a remporté le prix Médicis pour Miss Islande, en 2019 ; écrit La vérité sur la lumière, dont la traduction française nous est arrivée l’an dernier. Malgré le temps passé, l’écrivaine n’a rien perdu de la poésie qui l’anime et de cette douceur qui émane de tous ses romans, depuis l’inoubliable Rosa Candida qui a révélé sa plume unique au monde entier.

La pandémie — et la paralysie des voyages qu’elle a entraînée — lui a été extrêmement bénéfique d’un point de vue créatif, confie-t-elle, lui permettant de terminer un deuxième texte en parallèle à La vérité sur la lumière alors qu’elle était confinée sur son « île noire ».

« La pandémie m’a donné l’opportunité de réfléchir ; dans tous mes romans, j’essaie de comprendre la nature humaine, ces paradoxes qui nous rendent humains », dit-elle dans un français mâtiné de consonances nordiques.

Le point de départ de La vérité sur la lumière était ce mot choisi par les Islandais, en 2013, comme étant leur préféré : sage-femme. Un mot qui, dans leur langue, est composé de deux autres — mère et lumière. « À ce moment-là, j’ai décidé que j’écrirais plus tard un roman où la protagoniste était une sage-femme, et que ça allait être un livre sur la lumière dans un monde de noirceur. »

Le roman rend hommage en quelque sorte à celles qui risquaient leur vie par tous les temps pour accoucher des femmes aux quatre coins de l’île. « Jusqu’en 1950, l’Islande était un pays pauvre, sans routes, on voyageait à cheval et les sages-femmes allaient souvent à pied », raconte-t-elle.

Et pour faire les « louanges » de la vie que donnaient ces femmes, il fallait passer par la mort.

Un roman, ça se construit par des oppositions ; pour écrire un livre sur la lumière, il fallait que la scène se déroule à la période la plus sombre, à Noël, parce que c’est dans l’obscurité qu’on comprend vraiment le sens de la lumière.

Auður Ava Ólafsdóttir

À la recherche de la beauté et du sens

Il y a de l’espoir dans La vérité sur la lumière, insiste Auður Ava Ólafsdóttir, même si c’est plus simple, à son avis, d’être pessimiste — et surtout plus intéressant pour un écrivain. « Tous mes romans posent un peu cette question de comment survivre, comment assumer nos responsabilités envers nos proches et envers la planète. »

« Je trouve ça poétiquement logique qu’une sage-femme allait être une spécialiste de l’humain, l’animal le plus dangereux, le plus cruel, mais aussi plein de beauté et de générosité. Comment cet animal qui naît nu, sans fourrure, et dépend totalement des autres, se transforme en cet animal égoïste et cruel ? », demande-t-elle avec candeur.

En arrière-plan de l’histoire, il y a la crise climatique, qui frappe les Islandais de plein fouet, avec des tempêtes de plus en plus violentes et la fonte des glaciers qui leur fait craindre de terribles éruptions volcaniques dans un avenir plus ou moins proche.

Et c’est à travers le personnage de la grand-tante, « cette sage-femme un peu excentrique » qui ne croit plus à l’homme bien qu’elle croie encore à l’enfant, qu’elle cherche à nous conscientiser sur le fait qu’on savait déjà, il y a 50 ans, qu’il fallait prendre nos responsabilités face à la planète, mais que nous n’avons rien fait.

PHOTO DENIS GERMAIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Auður Ava Ólafsdóttir

Mes écrits sont nés du désespoir. Je cherche désespérément la beauté et le sens ; le sens, c’est un peu organiser le chaos. Et la beauté, pour moi, ce n’est pas un objet, c’est une expérience qui change la manière de regarder le monde et soi-même ; quelque chose qui déstabilise, aussi.

Auður Ava Ólafsdóttir

Son prochain roman, qui doit paraître dans quelques semaines en Islande (la date n’est pas encore connue en français), s’appellera Éden. Il y sera question d’un jardin où rien ne pousse, au beau milieu d’un champ de lave, qu’une linguiste va acquérir pour y planter des arbres. Des érables, de surcroît, dont le nom en islandais, précise-t-elle, est également un prénom masculin — Hlynur.

Comme toujours, dans ses romans, on y retrouvera l’île, l’ailleurs, ceux qui viennent d’ailleurs et ces relations significatives qui se forment entre deux individus dont les chemins n’avaient a priori aucune raison de se rejoindre. Et aussi sa langue, une langue complexe, admet-elle, dont elle craint la disparition parce qu’elle n’est parlée que par 350 000 habitants, mais dont elle est l’une des premières ambassadrices en nous la faisant découvrir avec poésie, un mot à la fois, dans chacun de ses romans.

La vérité sur la lumière

La vérité sur la lumière

Zulma

224 pages