La bienveillance est à la mode. Avec Douces Amères, À qui profite notre bienveillance ?, la journaliste et éditrice Véronique Alarie tente de comprendre d’où vient cette tendance et comment éviter les pièges afin de profiter de ses bienfaits. Entrevue.

Q : Pourquoi cette injonction à la bienveillance ?

R : J’ai écrit cet essai pour me libérer d’une certaine pression à la bienveillance, car ce mot est sur toutes les lèvres. S’il revient en force, c’est parce qu’on en avait besoin, la société en avait besoin. Beaucoup de gens récupèrent la bienveillance et vont s’en servir pour avoir plus de pouvoir ou plus d’argent. Or, la vraie bienveillance est désintéressée. Je parle d’une injonction, car la bienveillance est devenue tellement omniprésente que la pression devenait une injonction. Il y a la parentalité bienveillante, le management bienveillant, les politiques bienveillantes, l’autobienveillance… Le titre de travail de mon livre était « La tyrannie de la bienveillance », mais ça manquait de nuances, car il y a des retombées positives à la bienveillance. Je ne veux pas la discréditer ou la remettre en question, car je tente de l’appliquer dans ma vie et je crois en ses bienfaits.

Q : Doit-on se méfier de cette bienveillance omniprésente ?

R : La bienveillance peut être instrumentalisée, car elle peut être rentable. Il y a une bienveillance qui accélère la productivité. Le management bienveillant, c’est très bien. On est tous favorables au fait de pouvoir travailler dans les meilleures conditions, avec empathie et reconnaissance. Mais quand on voit des ouvrages qui ont pour titre Le management bienveillant, accélérateur de performance ou Gérez humain c’est rentable, on se dit qu’il y a là une stratégie visant la productivité et le profit. Il y a évidemment des gestionnaires sincères qui sont bienveillants et qui veillent au bien des employés sans arrière-pensée, évidemment, mais on peut aussi avoir une méfiance qui est légitime.

Q : Marina Orsini est pour vous l’incarnation de la bienveillance ?

R : Oui ! J’ai inventé un mot : affectuel. Pour moi, un affectuel est dans l’émotion, le sentiment, dans l’ouverture d’esprit, la bonté, un leader positif. Et Marina Orsini, c’est tout ça ! C’est une personne vraie, transparente, engagée. Elle a du panache, elle est authentique, généreuse, elle a un grand élan du cœur et elle est désintéressée, une vraie personne bienveillante ! Quand j’ai terminé l’écriture de cet essai, je ne la connaissais pas personnellement, mais j’ai travaillé avec elle très récemment à titre d’éditrice de son livre et je ne suis pas déçue !

Q : Vous parlez aussi de la parentalité bienveillante qui forge des enfants confiants, empathiques, ouverts et habiles socialement. Mais il y a des dérives vers la parentalité parfaite ?

R : J’ai de jeunes enfants, je suis une personne informée, mais pendant la petite enfance, j’avais toujours l’impression que ce que je faisais n’était jamais optimal. On est dans une spirale de culpabilité, tout le temps. On vise la bienveillance, mais la réalité, c’est qu’un parent, ça dort peu, ça travaille, ça a des journées intenses et ça a aussi le droit d’être fatigué et de ne pas être parfait. Car même si on applique les méthodes éducatives constructives, il y a toujours des parents qui attaquent d’autres parents sur certaines pratiques éducatives différentes des leurs. Il faut accepter les différences. Ça paraît cliché de le dire, mais il faut étonnamment le rappeler. Pour moi, c’est accessoire de savoir si l’enfant a été allaité ou non, s’il a fait du co-dodo ou non. Je ne comprends pas qu’on continue à avoir des discours culpabilisants sur l’éducation des enfants. Certains parents colportent la parentalité bienveillante d’une mauvaise façon.

Q : Sommes-nous vraiment bienveillants ?

R : Je suis optimiste. Je crois qu’on est capable de solidarité, même si on ne cesse de dire que nous sommes des individualistes. La chercheuse américaine en sciences sociales Brené Brown parle de l’importance d’avoir des conversations difficiles. C’est simple, mais transformateur. Pour elle, ce qui est clair est bienveillant, ce qui est imprécis ne l’est pas. Elle explique qu’éviter la franchise par souci de gentillesse est en réalité injuste et méchant. On vit dans un monde plus bienveillant qu’autrefois, même si on a l’impression du contraire quand on regarde l’actualité. Quand je vois, par exemple, qu’une petite fille a vendu de la limonade pour pouvoir acheter des fournitures scolaires à des enfants de sa classe qui n’en ont pas les moyens, on se dit que ce genre d’initiative est formidable. En même temps, on se dit que ce n’est pas la responsabilité d’une petite fille de 7 ans de fournir des fournitures scolaires et qu’il y a un problème quelque part dans notre système.

Douces Amères, À qui profite notre bienveillance ?

Douces Amères, À qui profite notre bienveillance ?

Éditions Québec Amérique

110 pages