L’illustre Elena Ferrante a peut-être ouvert la voie à une nouvelle génération de romancières parmi ses consœurs, avec sa tétralogie entamée par L’amie prodigieuse il y a plus d’une décennie. Toujours est-il que trois romans parus récemment nous racontent avec la même intensité poignante le destin tortueux d’adolescentes dans cette Italie absente des cartes postales, au début des années 2000 et durant les années 1980.

La jeune autrice Giulia Caminito était apparue sur notre radar à la parution, l’an dernier, de son excellent roman Un jour viendra. Son nouveau titre, L’eau du lac n’est jamais douce, nous entraîne en périphérie de Rome, à l’aube du nouveau millénaire.

La narratrice grandit dans la précarité de logements insalubres ou attribués par la municipalité. Entre une mère toujours prête à monter au front pour réclamer justice et qui s’échine à faire des ménages pour gagner sa vie, un père en fauteuil roulant depuis un accident de travail sur un chantier, où il travaillait au noir, et un frère anarchiste, elle lit pour s’instruire et se frayer un chemin différent de celui de sa famille.

Mais ses efforts se heurtent sans cesse aux murs invisibles de sa condition sociale ; pour réussir dans cette société encore attachée aux privilèges de naissance, elle doit ravaler sa jalousie et son orgueil devant ses camarades de classe plus fortunés, taire sa fureur et son amertume face aux trahisons, aux déceptions et aux humiliations. Inoubliable, ce roman saisissant est un coup de poing aux injustices et un doigt d’honneur aux privilèges qui place assurément l’autrice parmi les plumes à suivre.

L’eau du lac n’est jamais douce

L’eau du lac n’est jamais douce

Gallmeister

352 pages

Entre pauvreté et violence

Avec Béni soit le père, Rosa Ventrella explore elle aussi cette question de l’émancipation sociale. Est-il possible de s’affranchir de la pauvreté matérielle et intellectuelle qui se transmet d’une génération à l’autre ?

Béni soit le père raconte la misère d’un quartier pauvre, au cœur de la ville portuaire de Bari, à travers la vie de Rosa, qui grandit dans les années 1980. C’est un Sud miné par le manque de perspectives que narre Rosa Ventrella, une Italie oubliée, repliée sur elle-même, à l’image de ces quartiers de Naples dépeints par Elena Ferrante, où les femmes ont l’impression d’être les victimes impuissantes d’une malédiction atavique. L’autrice avait d’ailleurs été baptisée « l’Elena Ferrante de Bari » à la parution de son bouleversant premier roman, Une famille comme il faut, il y a trois ans.

C’est un roman dur et sombre qui se dévoile ici en parallèle à l’adolescence solitaire de Rosa, spectatrice silencieuse de la violence infligée par son père à sa mère et de la brutalité d’un milieu qu’elle ne rêve que de fuir. Incapable de garder un emploi, ce père surnommé « Gueule d’ange » sème la terreur dans sa propre famille ; l’argent manque, les coups pleuvent et les commères du quartier ne sont jamais trop loin pour médire. Ainsi se dessine le combat émouvant d’une jeune femme pour tenter de s’extraire de sa destinée et de ne pas commettre les mêmes erreurs que celles qui l’ont précédée.

Béni soit le père

Béni soit le père

Les Escales

256 pages

L’amitié dans tous ses excès

Comme Giulia Caminito, la romancière Silvia Avallone, qui a connu un grand succès avec ses romans précédents, nous entraîne elle aussi dans l’Italie du début des années 2000. Une amitié retrace la relation fusionnelle entre deux adolescentes qui grandissent en province, témoins de la révolution numérique qui se dessine avec l’avènement de l’internet.

On erre avec elles entre le Piémont et la Toscane, puis à Bologne, les montagnes et les plages en filigrane. C’est une amitié excessive que l’on découvre entre deux adolescentes que tout oppose : l’une est exubérante et ne rêve que de briller – une amie prodigieuse, en quelque sorte –, alors que l’autre se cache dans les livres en cherchant à rester invisible.

Il est impossible de ne pas être happé par la virulence de cette écriture qui incarne l’impétuosité et la fougue inhérentes à ce passage fracassant de l’enfance à l’âge adulte, et qui inscrit ce nouveau titre dans la lignée des romans d’apprentissage incontournables – à l’instar des deux titres précédents.

Une amitié

Une amitié

Liana Levi

528 pages