La solitude se vit-elle de la même façon n’importe où dans le monde ? Bonne nuit Tôkyô et À propos de ma fille, deux romans parus récemment, nous transportent respectivement au Japon et en Corée du Sud, à la rencontre de personnages atypiques qui évoluent en marge de la société et vivent leur isolement avec discernement ou appréhension, chacun à sa manière.

Dans Bonne nuit Tôkyô, premier roman traduit en français de l’écrivain japonais Yoshida Atsuhiro, les noctambules solitaires comme les travailleurs nocturnes esseulés peuvent toujours compter sur Matsui, un chauffeur de taxi qui sillonne toutes les nuits les rues désertées de la capitale nipponne. Il répond à leurs appels ou les embarque peu importe où ils se trouvent, lorsqu’il n’y a plus âme qui vive pour leur prêter main-forte. Car les nuits de Tokyo ne sont plus ce qu’elles étaient, se désole Matsui, dont le taxi roule de plus en plus à vide ; le nombre de magasins ouverts toute la nuit est en chute libre depuis que les beaux jours d’une économie florissante ne sont plus qu’un vague souvenir.

Mais le chauffeur de taxi connaît ces repaires nocturnes qui deviennent pour lui, comme pour ses clients, des refuges au cœur de la nuit. Il y a cette cantine gérée par quatre femmes qui ont enterré leur rêve d’avoir un grand restaurant. Ou encore ce brocanteur qui n’ouvre sa boutique que la nuit, même si la clientèle se fait de plus en plus rare, et où Matsui amène l’une de ses clientes, accessoiriste pour une maison de production qui doit constamment dénicher les objets les plus hétéroclites à des heures indues.

Dans ce roman éthéré, on a l’impression de flotter dans les nuits de Tokyo pour découvrir, contre toute attente, une ville beaucoup plus petite qu’on ne l’aurait cru.

Un endroit étrange, aussi, à en croire Matsui, où la probabilité de faire des rencontres insolites est bien plus grande qu’on le penserait.

Solitude et vieillesse

Pour la narratrice d’À propos de ma fille, de la jeune romancière sud-coréenne Hye-jin Kim, la solitude est tout autre. Cette sexagénaire, qui travaille comme aide-soignante auprès d’une femme atteinte de démence et qui n’a pas la moindre famille pour veiller sur elle, contemple avec dureté sa propre vieillesse à mesure qu’elle voit sa patiente dépérir.

Ses appréhensions la poussent jusqu’à craindre pour sa fille ; qui prendra soin d’elle durant ses vieux jours, alors qu’elle n’est nullement désireuse de fonder une famille ? La question hante la mère alors que la jeune femme de 30 ans, endettée et incapable de trouver un nouveau logement malgré son poste à l’université, militant activement contre cette précarité, se voit contrainte de retourner vivre sous son toit — avec sa compagne.

À la lecture de ce roman, on constate que les relations entre mère et fille — tout comme la façon dont on perçoit les personnes âgées — ont quelque chose d’immuablement universel.

À travers le portrait poignant de cette mère qui désapprouve les choix de sa fille et ne souhaite rien de plus que de la voir se fixer dans une vie bien rangée, on entre dans l’intimité d’une femme lestée par le poids des traditions, qui n’arrive pas à trouver les mots justes pour éviter de rompre le lien avec sa fille, alors qu’elle n’a personne d’autre au monde. « Je ne peux pas lui répondre ce que mes parents m’ont répété, à savoir de travailler dur, et toujours plus dur. Je ne peux pas lui jeter ça au visage. Les temps ont changé », dira-t-elle en plein dilemme.

On navigue ici dans les eaux sombres des conflits de valeurs entre deux générations aux antipodes, dans un milieu où la peur bleue des commérages est peut-être, en fin de compte, la plus grande incitation à se conformer à l’ordre établi. Mais d’un fil à l’autre, on finit par comprendre que la seule chose qui ait de l’importance, c’est de trouver cette personne qui, à la fin de la journée, permettra de se sentir moins seul face à l’adversité.

Bonne nuit Tôkyô

Bonne nuit Tôkyô

Éditions Picquier

240 pages

À propos de ma fille

À propos de ma fille

Gallimard

176 pages