Avec son plus récent recueil, L’ongle et le vernis, la grande Nicole Brossard déploie « une esthétique du pluriel » où le poème devient une « forme aboutie d’étreinte ». Les vers énoncent des vérités qui frappent directement au cœur même si la poète dit ne simplifier jamais rien. « Seules les énigmes tiennent parole », écrit-elle dans un style qui, toujours, sait surprendre.

Nicole Brossard manie aussi bien l’intuition que la technologie, les nanosecondes éphémères que l’éternité en solitaire, le microscope que le télescope. Elle démontre une incommensurable compréhension de ce qui vibre en nous et nous dépasse tout à la fois.

Ses images peuvent, dans un même vers, nous réconforter et nous inquiéter. C’est une poète qui se laisse traverser par « les guerres et les cadavres », mais dont la fine intelligence permet de prendre une distance presque analytique au même moment. Ses poèmes fléchissent et réfléchissent.

Le recueil aborde les maux du monde avec les mots d’aujourd’hui sans paraître, et c’est là le grand art et la pertinence de Nicole Brossard, plaqués ou même décalés. Elle offre, en plein milieu du livre, un poème magnifique, Ce manuscrit, qui prend place au plus près de la vie de la poète.

Le « je » revient démontrer alors sa capacité de tout dire en quelques mots : « Au présent je suis toujours / la même phrase et son silence / une forme de condensation / buée d’univers ». Sa poésie agit en filtre de l’air du temps, de ses respirations comme de ses contaminations. Un vocabulaire très actuel et des néologismes nécessaires sont utilisés comme matériaux d’un travail qui sait « nourrir sa vieille enfance ». Elle œuvre à décrire le monde puisque, ouvrant le sens, la poésie est bien la seule forme d’expression qui y arrive.

Les textes de L’ongle le vernis dialoguent avec les magnifiques illustrations de Symon Henry. La poète est l’ongle qui gratte en sachant où trouver, il est le vernis qui colore ce qui, d’humanité, subsiste peut-être en dessous.

Certains pourraient parler d’un échange intergénérationnel, mais ce serait occulter le fait que Nicole Brossard n’a pas d’âge. Elle ne possède qu’un petit couteau universel qui découpe la vie avec une précision et une limpidité dignes des plus grands artistes.

Mentionnons que paraît, au même moment, à l’Hexagone, Géométries du Mauve Motel, une captivante correspondance entre Simon Dumas et Nicole Brossard à propos d’un roman de cette dernière, Désert mauve. Ce livre phare a inspiré un scénario de film et une adaptation théâtrale, mais aussi un projet d’opéra de... Symon Henry.

L’ongle le vernis

L’ongle le vernis

Noroît

104 pages

8/10