(Paris) Passer de l’écriture rageuse des manuscrits de Louis-Ferdinand Céline à une édition près de 90 ans plus tard de Guerre, roman étonnamment abouti, a exigé un travail d’orfèvre mené par l’éditeur Gallimard.

Ce livre, écrit probablement en 1934, est resté dix ans dans les archives du romancier, dans son appartement du quartier de Montmartre.

En juin 1944, sentant le vent tourner, ce collaborationniste quitte Paris dans la précipitation. Direction l’Allemagne, où il n’a pas la possibilité d’emporter ses inédits.

Des résistants s’emparent de ces 6000 feuillets. Leur sort reste inconnu pendant une soixantaine d’années, jusqu’à ce qu’ils soient donnés à un ancien journaliste, Jean-Pierre Thibaudat, qui contacte les ayants droit.

Ceux-ci, l’avocat François Gibault et une autre proche de l’épouse de Céline, Véronique Robert-Chovin, n’ont pas voulu travailler avec lui. Et M. Thibaudat est contraint de remettre les manuscrits à la police, a expliqué à la radio Europe 1 son avocat, Emmanuel Pierrat.

Gallimard est déterminé à publier ces inédits avant que toute l’œuvre de Céline ne tombe dans le domaine public, en 2032. « Le travail doit être mené de façon très scrupuleuse », dit alors le PDG de la maison d’édition, Antoine Gallimard.

Guerre est le premier de la série à sortir. Dans la chronologie du narrateur et protagoniste, cette suite à Mort à crédit (1936) précède Londres, plus long, à paraître à l’automne.

Le roman « a été transcrit d’après un manuscrit de premier jet, le seul connu. […] Le texte présenté ici en restitue le dernier état de rédaction », écrit dans une « note sur l’édition » l’historien Pascal Fouché.

« Céline écrit beaucoup en abrégé. Avec l’habitude, on arrive à déchiffrer, mais il rature, réécrit entre les lignes et ce sont souvent des petits ajouts qui sont très difficiles voire impossibles à lire », explique-t-il à l’AFP. Certains mots ou passages sont donc entre crochets.

« C’est écrit très vite, au fil de la plume. Il laisse des blancs, il y a des répétitions, il y a des maladresses qu’il aurait forcément corrigées à la relecture. Il n’y a pas de ponctuation ou très peu. Il n’y a pas de paragraphes », ajoute-t-il.

Gallimard en a ajouté, conformément aux habitudes de l’écrivain, plutôt que de retranscrire ad litteram le flot continu du premier jet.

Dans le contenu, le romancier tenait une ébauche très réussie. Pourquoi ne l’a-t-il jamais publiée lui-même ? « On ne peut faire que des hypothèses », d’après Pascal Fouché.

Après l’effort qu’a nécessité Mort à crédit, fraîchement accueilli par la critique, Céline, préoccupé par la dégradation du climat politique, fait une pause dans son œuvre romanesque pour devenir pamphlétaire antisémite en 1937.

Il retournera au roman sous l’Occupation, avec Guignol’s Band. « Mais à ce moment-là, est-ce qu’il a envie de revenir sur l’autre guerre ? », se demande l’historien.

Autre problème : Guerre, au contenu sexuel très explicite, heurte la morale de l’époque. « Son éditeur lui avait caviardé des mots trop crus dans Mort à crédit. Céline n’avait peut-être pas envie que ça se répète », suppose Pascal Fouché.