Pierre Lemaitre nous a délectés avec sa trilogie Les enfants du désastre, qui se déroulait pendant la période de l’entre-deux-guerres, et dont le premier tome, Au revoir là-haut, a remporté le Goncourt en 2013. Voilà qu’il amorce un nouveau cycle qui couvrira les trois décennies suivantes, Les années glorieuses, à peine deux ans après avoir clos le précédent.

Le Grand Monde s’amorce en 1948, au sortir de la Seconde Guerre mondiale. L’Europe est en reconstruction, le monde se réorganise, et ce passage entre l’ordre ancien et le nouveau, sur fond de colonialisme et de magouilles financières à grande échelle, forme très certainement la toile de fond de ce roman massif de près de 600 pages.

On y suit le destin de la famille Pelletier, riche propriétaire d’une savonnerie à Beyrouth. Les quatre enfants, jeunes adultes, ont quitté le foyer familial : Étienne est parti à Saigon, en pleine « guerre d’Indochine », pour élucider le mystère de la disparition de son amoureux. Les deux plus vieux, François, journaliste de faits divers, et Jean, homme mou aux secrets inavouables, vivent à Paris, alors que leur jeune sœur Hélène, en quête d’émancipation, viendra les y rejoindre bientôt.

On retrouve dans Le Grand Monde tous les ingrédients qui ont fait le succès de Pierre Lemaitre, qui a délaissé l’enseignement pour écrire du polar à l’âge de 50 ans, puis qui est passé du polar au roman historique huit ans plus tard : la narration ironique, l’écriture rythmée, la truculence, la vision périphérique. L’auteur ratisse en effet large, très large, mais peut-être, pour la première fois, trop large.

Entre les péripéties incroyables d’Étienne à Saigon et la petite vie sans éclat de son frère Jean, il y a beaucoup d’espace à remplir. Et toutes ces histoires parallèles, qui finiront bien sûr par se rejoindre, n’ont pas le même intérêt, mais surtout, l’auteur semble rester en surface de certains de ses personnages, aux contours mal dessinés.

Personne n’est jamais parfait chez Lemaitre. Tout le monde a ses zones d’ombre – certaines plus grandes que d’autres –, mais il ne réussit pas cette fois à nous rendre ses protagonistes vraiment attachants, à faire en sorte qu’on se préoccupe vraiment de leur sort. Sauf pour Étienne justement, que par ailleurs il n’épargne pas.

C’est certainement notre principale réserve, même si nous n’avons pas boudé notre plaisir : digne descendant d’Alexandre Dumas, Pierre Lemaitre reste un feuilletoniste hors pair. La littérature est pour lui un jeu de haut niveau, et il parsème son récit de vraies surprises, de fins de chapitre explosives qui nous poussent à toujours vouloir lire le suivant, le sourire aux lèvres, même si on nage parfois dans le glauque et le désespoir.

Ce punch ultime qu’il nous réserve aux trois quarts du roman, dont nous ne divulguerons même pas un indice ici, est tellement énorme qu’il nous arrache même un cri de joie et d’étonnement. En revanche, ses répercussions sur la suite du roman ne sont pas à la hauteur et s’avèrent décevantes, comme si l’auteur avait eu trop de ficelles à tirer pour dénouer son intrigue et qu’il avait pris un raccourci.

On sera au rendez-vous pour la suite, bien sûr, parce qu’un livre de Pierre Lemaitre reste du divertissement brillant et hors catégorie. Mais pour ceux et celles qui voudraient apprendre à le connaître, on vous suggère quand même Au revoir là-haut, ou même la dernière partie de sa précédente trilogie, Miroir de nos peines, qui respirait un humanisme qu’on aurait aimé retrouver ici.

Le Grand Monde

Le Grand Monde

Calmann-Lévy

590 pages

6/10