Stéphanie St. Clair, alias Queenie, est au cœur de Harlem, diptyque qui doit clore la trilogie new-yorkaise du bédéiste Mikaël. Autour de cette criminelle qui a tenu tête aux gangsters juifs et italiens, il évoque avec maestria la vie dans le quartier populaire du nord de Manhattan dans les années 1930.

New York, c’est la ville de Spider-Man et de Capitaine America, mais c’est aussi l’inspiration de Gotham et de Metropolis, que défendent Batman et Superman. Sa fascination pour la mégapole américaine, Mikaël, bédéiste québécois d’origine française, ne la tient pourtant pas du comic book américain. Plutôt de la télé, puis du fantasme de l’Amérique.

J’ai été biberonné aux séries américaines et, depuis l’enfance, la ville de New York me fait rêver. Comme beaucoup d’Européens, je pense. C’est l’icône du rêve américain, la ville de tous les possibles…

Mikaël

Cette idée d’une autre vie possible, c’est justement le fil qui relie les différentes séries qui composent sa trilogie new-yorkaise. Ces personnages sont des immigrants, des gens « oubliés par la grande histoire », dit-il, qui ont contribué à bâtir la ville et tenté d’y faire leur chemin.

Dans Giant (deux tomes), il a imaginé un colosse irlandais qui travaillait à la construction de gratte-ciel. Dans Bootblack (aussi deux tomes), c’était plutôt un cireur de chaussures d’origine allemande. Harlem, qui sera lancé officiellement samedi à la librairie Morency de Québec, s’articule autour d’une figure historique, Stéphanie St. Clair, femme gangster d’origine antillaise, qui a dominé ce quartier situé au nord de Central Park.

Harlem, de Mikaël (Dargaud)
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    IMAGE TIRÉE DE HARLEM, DE MIKAEL, PUBLIÉ CHEZ DARGAUD

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Fresque sociale

Mikaël, contrairement aux autrices de Queenie, autre BD construite autour de Stéphanie St. Clair parue l’automne dernier, ne prétend aucunement faire œuvre de biographe. Il évoque les grandes lignes de la vie de celle qui fut la marraine de Harlem, mais s’attarde surtout à tout ce qui grouille autour d’elle : la pauvreté, les magouilles, les conflits avec la police et les autres gangs, le jazz…

Il brosse le portrait d’une femme dure et seule, mais pas insensible au destin de ses semblables. « Son combat est avant tout individuel : elle cherche d’abord son enrichissement personnel, analyse Mikaël. Mais le fait qu’elle offre des prêts à taux réduit ou parfois sans intérêt, qu’elle aide des associations caritatives et des églises ou qu’elle dénonce les abus de la police envers la population noire fait qu’elle participe à l’avancée de la cause des Afro-Américains à Harlem. »

Mikaël n’en fait pas un éloge naïf pour autant : celle qui se faisait appeler Queenie était une criminelle qui a « du sang sur les mains ». Son business – une loterie illégale – misait aussi sur la vulnérabilité de ses concitoyens, avides de gagner des sous. « Elle volait aux pauvres pour redonner aux pauvres, résume le bédéiste. Ce n’est pas exactement Robin des Bois… »

Impressionnisme éloquent

Son histoire, en partie racontée par un journaliste blanc qui se retrouve dans l’entourage de Stéphanie St. Clair, est servie par une composition visuelle absolument magnifique. Inspiré par les peintres de l’Aschan School, qui reproduisaient des scènes quotidiennes dans un style vaporeux, mais loin de toute forme d’idéalisation. Mikaël met l’accent sur la matière, évoque la saleté et les bruits de la rue.

Il reproduit avec précision l’architecture et le cadre urbain de Harlem, mais l’univers qu’il crée est plutôt fait d’impressions. Son dessin s’attache surtout à créer les atmosphères dans lesquelles évoluent ses personnages, dont il est toujours très proche, des ruelles sombres aux soirées animées du Cotton Club.

« Avant tout, c’est une histoire humaine », explique le bédéiste. Il prend d’ailleurs cet aspect très au sérieux : Mikaël prend le temps d’inventer une biographie à chacun de ses personnages, même s’ils ne jouent qu’un rôle secondaire, voire tertiaire. « C’est ce qui contribue, j’espère, dit-il, à la richesse du récit. »

Stéphanie St. Clair est le liant de son Harlem, l’élément qui lui donne du piquant. Ce qui en fait la force, c’est la sensibilité avec laquelle Mikaël saisit l’histoire de cette femme et celle de ce quartier dans les années 1930 pour raconter la pauvreté, la violence, les défis de l’intégration, le racisme et bien d’autres choses qui se vivent ici et maintenant.

Harlem

Harlem

Dargaud

64 pages