La directrice générale de Québec Amérique, Caroline Fortin, qui s’apprêtait à partir dans une foire internationale en Europe, avait vu la vague arriver. Mais jamais elle n’a soupçonné l’ampleur qu’elle allait avoir.

« Quand je retourne dans mon agenda et que je regarde ma dernière semaine, ce que je vois, c’est comme un camion qui s’en allait dans un mur.

« Le 13 mars, j’étais censée être à la Foire du livre de Londres. Je me préparais depuis des mois et j’avais un long voyage devant moi. Tout de suite après, je devais aller à Leipzig avec une délégation d’auteurs pour ouvrir les festivités de Francfort 2020, où le Canada devait être l’invité d’honneur en octobre. En fait, le 13, je devais être dans le train entre Londres et Leipzig.

« Mais la semaine d’avant, les choses ont déboulé. Tout a été annulé en quelques jours et je ne suis pas partie. Dans mes notes, j’avais écrit : “Ah, mon Dieu, enfin, j’ai une semaine à moi !” Je suis partie dans un chalet avec une copine, on était tellement heureuses, on se disait : “Enfin, on a une pause de jus.” Je me suis même acheté un chandail sur lequel il était écrit “Restons à la maison” ! Disons que ce chandail est complètement usé un an plus tard...

« Mais cette semaine-là n’a pas été reposante du tout. Les nouvelles étaient de plus en plus inquiétantes, je regardais les choses arriver en Europe et je voyais que ça s’en venait de façon progressive. Quand je suis rentrée au bureau le jeudi, tout le monde était inquiet, mais c’est vrai que pour moi, ça n’a pas été un choc comme pour plusieurs de mes collègues. Par contre, jamais je n’aurais imaginé qu’on serait là où on est aujourd’hui. »

Et maintenant

« La foire du livre de Francfort a évidemment été annulée. C’était un gros projet : j’ai passé huit ans de ma vie à parler de ça ! Pendant les mois qui ont suivi, on a négocié pour avoir un report en 2021. Mais là, la perspective n’est pas très bonne. C’est certain que je n’irai pas dans une foire internationale en octobre 2021 : je ne pense pas être vaccinée ni pouvoir m’y rendre.

Les semaines qui ont suivi le premier confinement ont été très, très dures. J’ai rarement eu des périodes de stress aussi intense. On a reporté toutes les sorties de livres du printemps, on a fermé notre café L’Éditeur... Mais j’ai été capable de garder tous mes employés.

Caroline Fortin

« En ce moment, c’est différent, je pense que ça vaut la peine de continuer à publier. Le mouvement de lire québécois a quand même fait son effet. Un an plus tard, on peut dire que la littérature s’en sort bien, mais pour nous qui sommes une maison généraliste, il y a des secteurs plus problématiques.

« Je souhaite vivement trouver un moyen de rouvrir les bureaux un peu. Pour que les gens de l’équipe aient des interactions qui ne soient pas programmées et retrouver un peu de spontanéité. C’est ça qui me préoccupe le plus en ce moment, je sens un épuisement mental.

« Personnellement, je pense que j’ai vieilli de 10 ans en une année. Mais le confinement m’a amenée à trouver un nouvel équilibre entre la vie personnelle et le travail. Avant, j’étais très sollicitée, toujours en voyage, et si je m’ennuie des salons internationaux, je n’en ferais plus cinq par année comme avant.

« Mais c’est sûr qu’on va sauter sur l’occasion de rencontrer des gens quand ce sera possible. Surtout les auteurs, ils ont besoin de rencontrer leurs lecteurs. Et les éditeurs ont réellement besoin de rencontrer leurs auteurs ! »

Les propos de notre interviewée ont été édités et condensés.