Je m’attendais à un pamphlet, j’ai découvert quelque chose d’encore plus intéressant : une voix originale, une réelle réflexion sur la vocation d’acteur qui a quelque chose d’universel lorsqu’on y est appelé, peu importe son identité, et beaucoup d’humour.

Dès la première phrase, on sourit, et ce ne sera pas la dernière fois, ni la seule surprise de Clark ou la peau de l’ours, du comédien Martin-David Peters : « Ce livre est dédié au comédien issu des Comédiennes et comédiens issus de la diversité [CCiD] qui cherche à grandir dans son art. Prends dedans ce qui te semble utile et laisses-y le reste. »

Deux fois le mot « issu », comme une naissance laborieuse, alors que Clark estime que les autres qui ne sont pas issus de la diversité sont « issus » de leurs mères…

Clark ou la peau de l’ours est une fiction de Peters sous forme de faux guide écrit par Clark, un pionnier des CCiD qui a quelques ressemblances avec l’auteur, mais qui n’est pas son alter ego, me dit-il. Martin-David Peters, 53 ans, roule sa bosse comme comédien depuis plus de 25 ans ; on l’a vu à la télé dans Fragile, Faits divers, Série noire ou Clash, rarement dans un rôle principal et très peu dans les shows de variété, mais il entre dans cette catégorie de la « diversité », ayant été l’enfant d’une mère abitibienne et un père d’origine antillaise. Ce premier livre éclaté, qui mêle témoignages, conseils, entrevues, extraits de pièces, est né des notes prises lorsqu’il allait expliquer son métier dans des écoles et qu’il abordait l’importance de la persévérance, lui qui a connu beaucoup de creux dans sa carrière, après être sorti du Conservatoire en 1994. « Je n’avais pas le goût de faire un essai théorique, explique-t-il. J’ai eu l’idée d’un personnage qui décide d’écrire un livre sur le jeu d’acteur dédié aux Comédiennes et comédiens de la diversité, ce qui est un peu absurde parce qu’un comédien est un comédien, point. Il n’y a pas de techniques particulières de jeu pour les communautés culturelles ! Mais en faisant cette tentative un peu absurde, il a entrepris un voyage intérieur. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Le comédien Martin-David Peters

Clark a connu son heure de gloire en jouant Othello de Shakespeare (évidemment) – rôle que Martin-David Peters n’a jamais joué dans sa vie – et, sans surprise, n’a plus beaucoup travaillé après. Ce qu’il y a de vraiment sympathique chez Clark est son côté terre à terre, qui se moque un peu du milieu théâtral, où par exemple on décèle dans son jeu un « rythme antillais » (il ne connaît que le Québec), quand on ne croit pas que sa bonne forme physique est un acquis naturel, alors qu’il sue comme tout le monde pour l’entretenir.

Ses conseils sont parfois vraiment de base et lapidaires : Fixe-toi un objectif, fonce et attrape-le, Ne t’en fais pas avec l’avenir, Sois clair sans être plate, Si tu as à choisir, opte pour ta gueule, Teste ton QI… On est loin de la Méthode Stanislavski, disons.

Apparaître

Mais chez Clark, l’amour du métier est sincère. Enfant, il est arrivé en retard pour jouer dans une pièce de l’école et a dû prendre l’allée de la salle sous les regards du public, ce qui lui a fait prendre conscience qu’il était déjà en spectacle avant même de rejoindre le spectacle. Comme si le monde était un théâtre permanent, mais que par la magie de la scène, les regards sur lui, enfant noir dans un monde blanc, étaient bienveillants. Martin-David Peters a vécu ça, lui aussi, quand il était enfant à Trois-Pistoles. « On était possiblement les seuls Noirs au début des années 1970, explique-t-il. Il y avait un regard de curiosité, bien sûr, mais lors de ce spectacle, il y avait des sourires dans le visage des gens et, oui, c’était bienveillant. Ça m’a marqué, cette chose-là, bien avant d’avoir mis le pied sur scène. Je sentais qu’il y avait une possibilité pour moi, même si j’étais différent de la majorité, d’être bien accueilli ».

N’empêche, la vocation n’a pas été spontanée. Il lui a fallu sa mère, qui lui glisse un dépliant du Conservatoire (le livre lui est dédié), une blonde entrée dans une école de théâtre qu’il a voulu impressionner en la rejoignant (Clark vivra la même chose avec son Hélène), pour que Martin-David Peters s’engage véritablement dans cette voie-là. Je dirais que c’est plus cette vocation que Clark défend que la diversité, qui devrait être une évidence, si on veut vraiment que le terme « universel » quand on parle d’art ait du sens. « En fait, note Peters, il y a dans ce livre un message, celui d’éviter l’enfermement, et de mettre les gens dans une boîte. Qu’est-ce que ça induit, des’’comédiennes et comédiens issus de la diversité’’ ? »

Clark répète souvent dans son guide que « l’art n’a pas besoin de diversité, l’art se suffit à lui-même ». « Dans un sens, théoriquement, l’art n’a pas besoin de diversité, on peut faire de l’art avec à peu près n’importe quoi, note Martin-David Peters. Mais humainement, la diversité a besoin de l’art. C’est important de penser aux artistes qui viennent de partout, qui sont parfois de la deuxième ou troisième génération, pour qui c’est un besoin. On sent que pour Clark, le théâtre, c’est essentiel, c’est quelque chose qui l’aide à vivre. C’est ce que j’aimerais qu’on retienne quand on pense à un comédien ou une comédienne ; que souvent, ils ressentent ça comme une vocation. »

Martin-David Peters voit une amélioration depuis quelques années. Il tourne plus, même en pandémie, on le verra dans les séries Populaires et Après. « Je vois une différence avec mes débuts et aujourd’hui. Je viens de finir le tournage de Populaires, qui met en vedette de jeunes adultes, je joue avec cette nouvelle génération qui s’en vient. Ils sont là et ils sont bons, je dirais qu’ils sont même meilleurs que moi quand je suis sorti du Conservatoire. Je vois qu’il y a un véritable effort d’amener plus de diversité sur nos scènes et nos écrans. C’est un métier extrêmement difficile pour tout le monde, mais ce l’était encore plus pour les comédiens de la diversité. Tu peux accepter que ce soit difficile, mais tu ne veux pas non plus que ton apparence joue contre toi et qu’on t’écarte automatiquement, parce que là, ça devient invivable, c’est quasiment plus possible, et ça coupe tout espoir. »

Car c’est bien beau la passion du jeu, il ne faut pas que ça mène à un terrain où tout est joué d’avance. « L’art est quelque chose de très grand et très riche, croit Martin-David Peters. Il ne faut pas avoir peur d’intégrer toutes sortes de regards, de corps et de voix différentes dans un spectacle. Comme créateur, tu n’es pas obligé de le faire, c’est important de le dire. Mais si tu as des antennes comme artiste, il faut, à mon avis, que tu écoutes ce qu’il y a autour de toi si tu veux que ton art soit pertinent. »

Clark ou la peau de l’ours s’ouvre sur le dessin de la fameuse caisse du Petit prince de Saint-Exupéry, dans laquelle il y aurait un mouton, avec un extrait cité aussi en anglais, en espagnol, en créole et en latin. Le dessin est celui de la fille de Martin-David Peters, tandis qu’à la dernière page du livre, on trouve la toile L’ange nouveau, du peintre Paul Klee, qui ouvre ses ailes. Ce livre ne s’adresse évidemment pas aux Comédiennes et comédiens issus de la diversité (CCiD). « C’est Clark qui fait ça, souligne Peters. Mais moi, Martin-David, je m’adresse un peu à tout le monde. Ce que je dis en quelque sorte aux gens, c’est’’tendez vers la libération’’ ! »