La romancière et dramaturge québécoise Abla Farhoud est morte le 1er décembre à Montréal d’un cancer incurable. Elle est partie paisiblement, entourée des membres de sa famille. Ses proches et ses admirateurs décrivent une femme d’une grande humanité ayant un regard universel.

L’ultime voyage d’Abla Farhoud est survenu au lendemain de la disparition d’une autre figure importante de la littérature québécoise, Marie-Claire Blais. Née au Liban en 1945, Abla Farhoud est arrivée au Québec avec sa famille à l’âge de 6 ans.

Elle était la mère de Mathieu Farhoud-Dionne, alias Chafiik, membre du groupe de rap Loco Locass, et de l’autrice-compositrice-interprète Alecka, pour qui elle a écrit des chansons. Ses enfants lui ont organisé récemment une célébration d’adieu. Parents et amis étaient invités à lui rendre visite brièvement ou à lui faire parvenir un témoignage.

« Abla nous a demandé d’organiser une journée où amour, amitié et musique seront au rendez-vous. Nous vous invitons à passer chez elle tout au long de la journée pour une visite brève ou moins brève et profiter de l’énergie festive, unique, intense de Abla. Nous savons à quel point cette journée sera importante pour elle et nous souhaitons que ce soit une réussite, une célébration à sa grandeur », ont-ils écrit dans cette touchante note.

« Abla a été lumineuse jusqu’à la fin », a d’ailleurs écrit son amie Claudine Bourbonnais, journaliste et présentatrice à RDI, aussi titulaire d’une maîtrise en études contemporaines sur le Proche-Orient.

Que de beauté, Abla. Et quelles leçons d’humanité tu nous as enseignées jusqu’à ton dernier souffle. Comme dans tes magnifiques romans et pièces de théâtre.

Claudine Bourbonnais, journaliste et présentatrice à RDI

Un autre proche, Fathi Belhadj, qui a habité pendant plus de 25 ans à Montréal et qui vit maintenant en Tunisie, avait connu la romancière et dramaturge dans les années 1990 lors de son Festival Images du monde arabe. Abla Farhoud, dit-il, lui faisait lire ses livres avant de les envoyer à l’édition.

« La rencontre avec Abla a été exceptionnelle, dit-il. Sa cuisine était témoin de nos discussions sur la musique des mots. Je dirais qu’elle appréciait une certaine sincérité bienveillante. Son français avait une musique différente, moi qui suis lecteur d’auteurs québécois. Dans sa langue, il y avait du soleil. »

« Nous parlions beaucoup de la condition des émigrés sans tomber dans la rengaine, a-t-il ajouté. Je me rappelle qu’une fois, en parlant de sa mère, elle m’avait dit que les femmes orientales exprimaient leur amour par les plats cuisinés à leurs enfants. Elle me parlait beaucoup de sa mère et surtout de ses silences. Dans ses romans, je crois qu’elle voulait porter la voix de cette mère silencieuse. »

Exil

Abla Farhoud est retournée vivre au Liban de 1965 à 1969. Elle s’est installée ensuite à Paris pour entreprendre des études en théâtre qu’elle terminera à l’Université du Québec à Montréal dans un programme de maîtrise entrepris en 1973. Elle a été comédienne avant d’écrire son premier texte dramatique, Quand j’étais grande, créé lors du Festival du Théâtre expérimental des femmes en 1983.

Ses pièces, près d’une dizaine si l’on compte les manuscrits non publiés, ont été produites partout dans la Francophonie, notamment en France, en Belgique et en Côte d’Ivoire. Elles ont aussi été traduites et jouées aux États-Unis et au Liban.

Son premier roman, Le bonheur a la queue glissante, a été publié en 1998 à l’Hexagone et lui a valu l’année suivante le Prix littéraire France-Québec. Il a été suivi par six autres romans et un récit, dont cinq publiés chez VLB. En France, sa pièce Les filles du 5-10-15 ¢ a gagné le prix Arletty, et son roman Le fou d’Omar, le Prix du roman francophone.

Plusieurs autres de ses publications auront été finalistes également pour des prix littéraires et de théâtre au Québec et en France.

L’œuvre

Chez VLB, ce qui devrait être son dernier roman, Havre-Saint-Pierre, pour toujours, paraîtra en 2022. Un livre centré sur le lien unissant deux frères libanais qui se sont perdus de vue, indique son éditeur Alain-Nicolas Renaud, qui a vu la romancière la semaine dernière lors d’une ultime rencontre de travail.

Abla ne parlait pas pour ne rien dire, ce qui donnait toujours des conversations stimulantes, parfois intenses, mais toujours cordiales et vraies. C’était une femme intelligente, qui avait de l’humour et qui possédait une grande écoute. Sa démarche d’écrivaine était courageuse et elle l’exprimait avec une voix très incarnée.

Alain-Nicolas Renaud, éditeur

Selon Lucie Lequin, professeure émérite de l’Université Concordia à la retraite, qualifier Abla Farhoud d’écrivaine migrante, quoique vrai, reste réducteur puisque l’expérience humaine dans toutes ses facettes l’intéressait.

« Dans son œuvre, elle se préoccupait de la vie et du point de vue des femmes surtout, celles qui cherchent à prendre leur place. C’est une écrivaine féministe, je dirais, naturelle. Le deuil est un thème central chez elle, celui du pays, des relations amoureuses, de la mort d’une sœur, de la maladie mentale d’un frère. Ses livres abordent plusieurs formes de douleur, mais on y trouve toujours un fort désir de vivre. »

Dans son roman le plus récent, Le dernier des snoreaux, paru en 2019, Abla Farhoud faisait dire à son personnage principal, comme dans un poème : « J’ai toujours voulu écrire / Écrire jusqu’au bout du chemin / Laisser les livres et partir / Ce n’est pas lourd, un livre / Laisser mes livres au monde que j’aurais quitté ».

Quelques œuvres incontournables d’Abla Fahroud

  • Les filles du 5-10-15 ¢, théâtre, 1986
  • Jeux de patience, théâtre, 1995
  • Quand le vautour danse, théâtre, 1997
  • Le bonheur a la queue glissante, roman, 1998
  • Splendide solitude, roman, 2001
  • Le fou d’Omar, roman, 2006
  • Toutes celles que j’étais, récit, 2015
  • Au grand soleil cachez vos filles, roman, 2017