Astérix dans le Caucase
Il n’y a pas de carte du pays des Sarmates dans le nouvel album d’Astérix, une fois de plus porté par le tandem Jean-Yves Ferri au scénario et Didier Conrad au dessin. Or, les récits anciens le placent tout à l’est de l’Europe, au nord de la mer Noire, près de là où se trouvent aujourd’hui la Moldavie, l’Ukraine, la Crimée et la Géorgie, au sud de la Russie. L’ancrage géographique est évoqué par un fin trucage de lettrage – les E sont inversés –, ce qui rappelle l’alphabet cyrillique. Là-bas où il fait froid, la guerre est considérée comme une affaire de femmes, les Amazones, alors que les hommes restent tranquilles au village et font la vaisselle après le banquet. Astérix, habitué d’être au centre de tout, a d’ailleurs bien du mal à se faire prendre au sérieux par ces guerrières. Sans la prophétie reçue par le chaman du village Sarmates, qui précise que la victoire leur viendra grâce aux amis gaulois et en particulier le plus petit d’entre eux, il aurait certainement été relégué dans les marges de cette périlleuse aventure qui porte pourtant son nom.
Gaulois, Romains et Amazones
Astérix, Obélix et Panoramix sont déjà en route vers l’est lorsque débute cette nouvelle aventure. César, paisible à Rome, ne le sait pas. Intrigué par l’animal étrange qu’on lui décrit, le griffon, il envoie une centurie le capturer pour qu’il puisse le présenter au cirque. Leurs guides sont une captive sarmate – une grande blonde appelée Kalachnikova – et un cartographe baptisé Terinconus, qui se fie aux tracés faits par un explorateur grec appelé Trodéxès de Collagène… Ils ne savent pas encore qu’ils auront les Gaulois dans les pattes, ni les redoutables Amazones.
Terinconus a un air connu
Les clins d’œil, comme les anachronismes, font partie de l’univers d’Astérix. Ici, le plus évident est celui-ci : Terinconus, le cartographe de César, a une bouille connue, celle de Michel Houellebecq, qui a publié en 2010 un roman intitulé La carte et le territoire. On croise aussi Aznavour (glissé parmi l’équipage de pirates qu’on connaît bien) et de discrètes références à Stromae et Dalida. Les éclaireurs embauchés par les Romains sont par ailleurs des Scythes (ce qui donne lieu à bien des jeux de mots sur les sites internet) qui parlent comme des brochures d’agence de voyages. César fait aussi référence aux réseaux sociaux en se plaignant des critiques qu’il a reçues « sur les forums ».
Pandémie et trumpisme
La crise sanitaire a aussi laissé des traces dans Astérix et le Griffon. Un personnage s’appelle Klorokine (référence à la chloroquine, médicament qui a été testé pour traiter la COVID-19). Pris d’une espèce de vertige devant les vastes étendues de neige, un Romain s’exclame par ailleurs : « Ces confins m’angoissent, vivement qu’on déconfine ! » L’air du temps est aussi évoqué à travers un légionnaire romain appelé Fakenius, qui se plaint « qu’on lui cache tout » et propage des faussetés, un écho ironique aux discours conspirationnistes et au climat politique installé par l’ex-président américain Donald Trump.
Astérix se cherche
Ferri et Conrad font une fois de plus la preuve qu’ils sont de bons gestionnaires de patrimoine. L’imitation du style d’Uderzo est parfaite et, même si l’aventure n’est pas épatante, le scénariste rend bien tout l’esprit de l’univers d’Astérix. Les planches de droite se terminent très souvent par des gags bien envoyés et on sent que le Ferri s’amuse beaucoup avec Obélix, qui est courtisé par une Amazone, mais surtout préoccupé de voir son Idéfix en « crise d’adolescence » s’émanciper en se joignant à une bande de loups. Seul Astérix se cherche un peu dans cette aventure où il doit redoubler d’ingéniosité pour se faire valoir, alors que tous ses atouts habituels ne lui sont d’aucune aide face à ces Amazones habituées à se défendre elles-mêmes et se moquent un peu de lui.
Astérix et le Griffon
Les Éditions Albert René
48 pages