Le papa de Bob Morane, Henri Vernes, est mort à Bruxelles dans la nuit de dimanche à lundi. Selon son entourage, l’écrivain est mort « paisiblement » dans son lit, départ qu’il n’aurait sans doute pas imaginé pour son célèbre héros.

L’auteur belge allait avoir 103 ans dans un mois. Hormis une opération des cataractes qui l’avait rendu aveugle il y a quelques années, il était en bonne santé et avait encore toute sa tête.

« J’étais allé le voir il y a une semaine, il était très lucide, mais il en avait marre, raconte son ami et secrétaire personnel Alain De Grauw, joint à Bruxelles. À la fin, il est simplement mort de vieillesse. »

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Détail de la couverture de Bob Morane – Le club des longs couteaux, d’Henri Vernes

Bien qu’il ait écrit toutes sortes de livres, Henri Vernes était surtout connu pour la fameuse série jeunesse Bob Morane, dont le répertoire s’élève à plus de 250 romans et « plusieurs dizaines de millions » d’exemplaires vendus depuis 1953, selon M. De Grauw. Sans oublier la télésérie, le dessin animé, la BD et le jeu vidéo Bob Morane, qui lui ont sans cesse permis de renouveler son lectorat.

Invité à expliquer son succès, le principal intéressé avait tendance à hausser les épaules. Pour lui, tout venait de sa facilité à raconter des histoires, nous avait-il confié lors d’une entrevue à Bruxelles en février 2020.

J’ai eu la chance de pouvoir écrire comme je respire. Je me mettais à la machine et je tapais.

Henri Vernes, en février 2020

Il est peu dire que sa production aura été industrielle. Pendant ses grandes années, Henri Vernes pouvait écrire jusqu’à six Bob Morane par année, un rythme qui ralentira progressivement, jusqu’à ce qu’il délaisse pour de bon sa machine à écrire, au tournant des années 2000.

Cette cadence suspecte et le fait que son œuvre se soit essentiellement limitée au public jeunesse expliquent sans doute pourquoi on ne l’a jamais considéré comme un « grand » de la littérature.

Un gagne-pain

Mais cela ne lui posait aucun problème. S’il s’est parfois senti prisonnier de son héros, Henri Vernes assumait parfaitement son statut d’écrivain populaire. Pour lui, l’écriture était avant tout un gagne-pain et une excuse parfaite pour parcourir le monde. « C’était tout simplement un métier. Je ne savais rien faire d’autre », disait-il.


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Henri Vernes

Son influence n’en fut pas moins considérable. À une époque où la littérature pour ados n’était qu’un vague concept, les aventures du commandant Morane et de son fidèle acolyte Bill Ballantine ont permis à des milliers de jeunes garçons en quête d’évasion de s’initier aux plaisirs de la lecture.

Ces derniers se souviendront sûrement des mémorables bras de fer contre l’Ombre jaune, perfide caïd asiatique qui fut probablement l’un des plus célèbres vilains de la littérature francophone.

Lors de notre rencontre en 2020, dénotant un surprenant sens d’humour, M. Vernes s’était amusé à dire que le virus de la COVID-19, né en Chine, avait été créé par le rival de Bob Morane afin de dominer l’humanité. Belle façon de reconnaître l’importance de ce personnage cultissime.

Jusqu’au Québec

De son vrai nom Charles-Henri Dewisme, Henri Vernes est né en 1918 à Ath, en Belgique, d’un père boucher et d’une mère coiffeuse. Après un voyage en Chine, il s’est joint à la résistance belge pendant la Seconde Guerre mondiale. Une expérience qui justifiera plus tard son mépris à l’endroit d’Hergé, qu’il accusait d’avoir collaboré avec l’ennemi.

Henri Vernes a publié ses premiers romans pendant la guerre, mais le premier Bob Morane (La vallée infernale) n’a été édité qu’en 1953. C’est le début d’une longue suite de romans d’aventures mettant en vedette l’agent secret français.

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Henri Vernes (au centre) lors d’un voyage dans le Nord-du-Québec

Mises en marché de manière révolutionnaire par la maison d’édition belge Marabout, les aventures de Bob Morane connaîtront du succès jusqu’au Québec, où il situera d’ailleurs trois de ses histoires, dont la plus connue reste sans doute Terreur à la Manicouagan, publiée en 1963.

Espérant se renouveler, Henri Vernes a créé d’autres personnages au fil des ans, dont la série des Don dans un registre plus adulte, qu’il se plaira à décrire comme un « Bob Morane avec de la fesse ».

Au tournant des années 2000, las d’écrire et de gérer son patrimoine, Henri Vernes a vendu les droits de Bob Morane à la libraire L’Âge d’or, située à Charleroi, en Belgique. Un geste qu’il regrettera amèrement, allant jusqu’à poursuivre les nouveaux ayants droit (Bob Morane Inc.) pour divers griefs, un procès qu’il finira par perdre.

Loquace jusqu’à la fin

Marié deux fois, sans enfants, veuf depuis une vingtaine d’années, Henri Vernes vivait seul dans son grand appartement du quartier Saint-Gilles à Bruxelles, entouré de ses collections d’objets médiévaux et exotiques, ne voyant plus que quelques amis et sa femme de ménage.

C’est là que votre serviteur avait rencontré l’écrivain en février 2020. Une rencontre particulière, où le centenaire nous avait confié de ne plus rien faire de ses journées, sinon écrire des livres dans sa tête.

Quand on l’a recontacté pour une mise à jour, en avril dernier, Henri Vernes était toujours aussi loquace. Mais, COVID-19 oblige, l’entrevue avait cette fois eu lieu au téléphone.

« On ne fait rien, on attend que la mort arrive », nous avait-il confié, avant de nous parler d’écriture, de « célébrité » et du sentiment d’avoir « bien vécu ».

Selon Alain De Grauw, La Presse serait le dernier média à lui avoir parlé directement.

M. Vernes léguera la totalité de son héritage à une fondation pour les animaux. Il doit être incinéré et reposera au cimetière de Tournai, en compagnie de sa femme Mado.

Mais l’aventure n’est pas encore terminée pour Bob Morane. Une nouvelle BD (Les 1000 démons de l’Ombre jaune) doit être lancée à l’automne aux Éditions Soleil. « Elle sera faite par de vrais fans », se réjouit Alain De Grauw. L’auteur est mort, pas son héros…