Robin DiAngelo est sociologue et formatrice en diversité. Son travail consiste entre autres à animer des ateliers de sensibilisation au racisme et au multiculturalisme dans différents milieux de travail. C’est riche de cette expérience qu’elle a entrepris d’écrire un livre qui cartonne depuis sa sortie aux États-Unis, en 2018. Dans un contexte où les tensions raciales sont à leur paroxysme, les gens cherchent des pistes de solution. Le livre de Mme DiAngelo en offre beaucoup.

Si vous êtes du genre à lever les yeux au ciel quand on parle de racisme systémique, ou que vous vous sentez attaqué personnellement lorsqu’on parle de la manière dont le racisme est à l’œuvre dans notre société, il se peut que vous n’ayez pas envie d’ouvrir le livre de Robin DiAngelo. Ce serait dommage, car vous passeriez à côté d’un véritable exercice de réflexion et d’empathie qui vous ferait peut-être mieux comprendre le point de vue des personnes racisées.

Bien sûr, vous n’êtes pas obligé d’être d’accord avec tout ce que cette sociologue avance. Mais soyez assurés d’une chose : elle ne parle pas à tort et à travers.

Depuis plus de 20 ans, Robin DiAngelo anime des groupes de discussion et des ateliers en entreprise. Les sociétés qui l’embauchent le font pour dénouer des situations problématiques ou pour augmenter la diversité au sein de leur personnel.

Son livre est donc le fruit d’années de recherche et d’observations sur le terrain. Et il est écrit avec beaucoup d’humilité.

En effet, Robin DiAngelo n’hésite pas à parler de ses propres préjugés racistes. Elle ne se présente pas en personne moralement supérieure qui aurait tout compris.

En fait, elle affirme que ce sont des gens comme elle, « des Blancs progressistes qui pensent avoir tout compris », ceux et celles qui se considèrent comme « woke » et plus vertueux que la moyenne, qui représentent souvent le plus grand obstacle lorsque vient le temps d’avoir une franche discussion à propos du racisme.

Et c’est encore plus flagrant quand ces gens sont canadiens, souligne-t-elle avec une pointe d’ironie, car les Canadiens se sentent moralement supérieurs et vous lanceront un « je ne suis pas raciste, je suis canadien… ».

C’est une boutade, bien sûr, mais elle sert à mettre en lumière un obstacle plus important : quand quelqu’un déclare qu’il n’est pas raciste ou encore, que la couleur de la peau n’a aucune importance à ses yeux, même si ces commentaires partent d’une bonne intention, ils contribuent en quelque sorte à nier la réalité des personnes racisées en invalidant ce qu’elles vivent et ressentent au quotidien.

Une ouverture au dialogue

Le livre de DiAngelo se lit comme un guide pour ouvrir la discussion à propos du racisme. Et la première étape consiste à reconnaître le privilège d’être blanc dans une société où tout est conçu à partir de cette norme, et où tout ce qui s’éloigne de la norme est considéré comme déviant.

DiAngelo emploie le terme « suprématie blanche », un concept qu’on associe habituellement aux groupes extrémistes et au KKK, mais qu’elle utilise plutôt pour décrire le fait que le point de vue des Blancs est LA référence dans nos sociétés occidentales. Les autres doivent se définir par rapport à celle-ci.

D’abord, insiste Robin DiAngelo, il faut cesser d’accorder une valeur morale aux comportements racistes. L’idée qu’un individu qui a un comportement raciste est une « mauvaise personne » et que celui qui se dit antiraciste est une « bonne personne » sème la confusion. Le racisme, écrit-elle, n’est habituellement pas un geste individuel intentionnel, c’est un ensemble de comportements qui sont à l’œuvre au sein d’un système, une structure invisible. Nous pouvons avoir des réactions racistes sans même en être conscients, car nous baignons dans une culture blanche depuis que nous sommes nés.

L’objectif, avec ce livre, n’est donc pas de dire aux Blancs : vous êtes de mauvaises personnes parce que vous faites tel ou tel geste, mais bien de comprendre pourquoi on fait ces gestes, pour ensuite mieux comprendre l’impact de notre comportement sur les personnes racisées.

C’est ça, l’empathie : être capable de se mettre dans les chaussures de l’autre.

Les larmes des femmes blanches

Au cours de sa carrière, Robin DiAngelo a observé plusieurs réactions dans ses ateliers sur le racisme. Des gens sur la défensive, des gens agressifs qui sortaient de la pièce plutôt que de dialoguer ou des gens qui se sentaient coupables et devenaient très émotifs. C’est de là que vient le concept de « fragilité blanche » (terme inventé par DiAngelo) qui décrit les mécanismes de défense qui se mettent à l’œuvre chez les Blancs quand on aborde la question du racisme. Elle parle aussi de « larmes des femmes blanches », un concept développé par plusieurs auteurs racisés, dont Reni Eddo-Lodge dans son essai Why I’m No Longer Talking to White People About Race, et qui fait référence à un incident au cours duquel les larmes d’une Blanche ont provoqué l’assassinat d’un jeune homme noir, accusé injustement de l’avoir attaquée.

Aujourd’hui, quand on parle de « larmes des femmes blanches », on fait référence à la réaction émotive que certaines personnes ont quand on leur fait remarquer un comportement raciste. Le problème n’est pas que ces individus ressentent de la honte ou de la culpabilité en lien avec leur comportement. Le problème, c’est que leur émotivité détourne l’attention du véritable sujet de la discussion. En d’autres mots, quand on console le Blanc qui pleure, on ne parle pas du Noir qui souffre.

Un livre raciste ?

IMAGE FOURNIE PAR LES ARÈNES

Couverture de Fragilité blanche — ce racisme que les Blancs ne voient pas, de Robin DiAngelo

Bien qu’il trône au sommet du palmarès des meilleurs vendeurs du New York Times Book Review, le livre ne fait pas l’unanimité. Certains ont qualifié Fragilité blanche de livre anti-intellectuel ou prêchi-prêcha. D’autres ont reproché à son autrice de diviser le monde en deux : les Blancs d’un côté et les non-Blancs de l’autre. Dans The Atlantic, le professeur de linguistique à l’Université Columbia John McWhorter estime pour sa part que le raisonnement de Robin DiAngelo est condescendant envers les Noirs (il est lui-même noir). Il reproche à la sociologue d’être plus intéressée par la souffrance du processus de prise de conscience des Blancs que par l’objectif final qui est de combattre le racisme. Il va même jusqu’à conclure que la thèse de Fragilité blanche comporte une autre forme de racisme, plus pernicieuse.

> Lisez l’article de The Atlantic (en anglais)

Le meilleur conseil, c’est encore que vous lisiez le livre pour vous faire votre propre opinion.

Fragilité blanche — ce racisme que les Blancs ne voient pas. Robin DiAngelo, traduit de l’anglais (États-Unis) par Bérengère Viennot. Les Arènes. 300 pages.