Se pourrait-il que le Joker, de Todd Philips, qui domine la prochaine course aux Oscars, soit un film politique ? Que les films de catastrophe ou de superhéros possèdent aussi un sous-texte politique ? L’essayiste et romancier Claude Vaillancourt le croit. Il expose sa pensée dans un essai éclairant et bien tourné, fraîchement réédité chez Écosociété.

Oscars, un regard politique ?

La liste des finalistes en vue de la prochaine remise des Oscars a été dévoilée la semaine dernière. Claude Vaillancourt, auteur de Hollywood et la politique, estime que le discours politique porté par un film n’a pas tellement d’influence dans les choix de l’Académie. « Ce qui est intéressant, c’est quand des films avec des propos politiques s’y glissent », signale-t-il toutefois. Deux des œuvres sélectionnées se démarquent sur ce plan, cette année, selon lui : Joker, de Todd Philips, et Parasite, du Coréen Joon-ho Bong. « Souvent, dans les films américains ou les films de superhéros, le mal est une chose qui apparaît sans cause, observe-t-il. Joker, sans toujours le faire de manière pertinente, tente de donner une explication au mal, et une grande partie de ce mal vient de l’exploitation des classes sociales, des différences entre les riches et les pauvres, du fait que les riches sont déconnectés de la réalité. » Parasite aborde aussi le choc des classes sociales et montre la violence que peut générer ces inégalités. Ce n’est pas un film hollywoodien, mais en étant sélectionné six fois, il se trouve plébiscité par Hollywood.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Claude Vaillancourt est l’auteur de Hollywood et la politique.

Liberté encadrée

Hollywood est loin d’être réfractaire au cinéma politique, a constaté Claude Vaillancourt. Le cinéphile tire cette conclusion d’une analyse de dizaines de films produits depuis les années 80 — il s’est limité à un corpus contemporain — qui parlent directement de politique ou de sujets connexes (enjeux sociaux, économie, etc.). Est-ce que le cinéma hollywoodien est libre sur le plan politique ? « Il n’est pas libre au sens où c’est une industrie culturelle capitaliste dans un monde capitaliste et qu’il a besoin de générer des profits. Il y a quand même des individus qui ont des messages à passer, et Hollywood a compris que, parfois, il est de son intérêt de les laisser passer », dit-il, tout en signalant que la liberté d’expression est une valeur forte aux États-Unis. « C’est sûr que les intérêts économiques ont tendance à l’emporter, mais ce système permet l’expression de voix discordantes, et c’est à mon avis ce qui rend Hollywood intéressant. »

Classement politique

Claude Vaillancourt classe les films en trois catégories principales : le cinéma de statu quo, le cinéma de questionnement (qui soulève des questions sans aller au fond des choses ni remettre en cause l’ordre social) et le cinéma subversif. Sans surprise, il constate que la vaste majorité des films produits à Hollywood se classent dans les deux premières catégories. Exemple typique : un film où un héros solitaire, Erin Brockovich par exemple, combat le système ou un élément corrompu du système… qu’on présente ensuite comme une anomalie. L’ordre est ainsi rétabli. Le système se trouve ainsi validé. Surtout, ce modus operandi permet de passer sous silence un élément qu’on voit rarement au cinéma hollywoodien : la solidarité et les soulèvements populaires contre le système, « chose qu’on ne veut pas voir se développer » à l’écran, selon l’essayiste.

Trump vu par Hollywood

Hollywood est très sensible au climat politique, selon Claude Vaillancourt. Il a ainsi fait des liens entre les présidences de Bill Clinton (des années d’optimisme naïf, symbolisées par Forrest Gump), de Bush fils (guerre et cinéma d’évasion) et d’Obama (espoirs déçus) et le type de productions en vogue dans la Mecque du cinéma américain. Qu’en est-il de l’ère Trump ? « Hollywood, assez curieusement, semble l’épargner pour le moment. L’opposition vient beaucoup des humoristes dans les émissions de fin de soirée — Stephen Colbert et John Oliver sont très critiques de Trump. On n’ose pas le confronter, comme si on se disait que, chaque fois qu’on parle contre lui, ça a l’effet contraire : ça raffermit sa base. » Cette retenue représente tout un contraste avec l’époque de Bush fils, qui a été visé par un nombre important de films, dont l’un allait jusqu’à mettre en scène son assassinat…

Façonner l’apathie

PHOTO FOURNIE PAR MARVEL STUDIOS

Scène du film de superhéros The Avengers sorti en 2012

Les films de superhéros ont la cote depuis un peu plus d’une décennie. Claude Vaillancourt les a d’abord perçus comme une espèce de fuite du discours politique, puisque ces productions mettent en scène des héros dotés de pouvoirs extraordinaires évoluant dans des mondes fantasmés… Il a changé d’idée. « Le refus du discours politique est en soi un message politique. Les conflits se règlent dans une violence très forte. On observe aussi que, dans ces films-là, les populations sont des espèces de victimes béates, dit-il. Ils attendent un sauveur — ou des équipes de sauveurs. Les populations sont dans un état de passivité extrême, et il y a à mon avis un message politique derrière ça : on demande aux gens de se taire et de faire confiance aux experts, aux politiciens. La résistance de la population n’existe pas dans ces films-là. »

IMAGE FOURNIE PAR LES ÉDITIONS ÉCOSOCIÉTÉ

Hollywood et la politique, de Claude Vaillancourt, Éditions Écosociété, 184 pages