Vincent Blanchard est né le 21 août 2007. C’était le premier petit-enfant d’André Fontaine, enseignant en techniques policières au collégial. « J’ai eu mon bébé, c’était beau et merveilleux, se souvient Valérie Fontaine, la mère de Vincent. Le lendemain de mon accouchement, mon père a fait un infarctus, à 52 ans. » André Fontaine est mort, subitement. « Ce n’était pas censé arriver, indique Véronique Fontaine, la deuxième fille de la famille. Notre père était en forme. » Rencontre en quatre points, sur ce deuil qui a mené à de multiples naissances.

Précieuse dédicace

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

André Fontaine, policier à la retraite, enseignant en techniques policières et propriétaire des Éditions André Fontaine, est mort subitement en août 2007.

« C’est cliché de dire qu’on grandit avec un deuil », dit Valérie. « Mais c’est ce qui est arrivé », poursuit Véronique – la complicité entre les sœurs est évidente. Retour en août 2007 : juste après la mort de leur père, les trois sœurs Fontaine (il y a aussi Marie-Claude, la benjamine) rejoignent leur mère au domicile familial, à Sherbrooke. « On s’est retrouvées à organiser les funérailles et à vivre la rentrée scolaire », se souvient Valérie.

La rentrée ? Oui, puisque le paternel avait fondé Les Éditions André Fontaine, spécialisées dans les manuels de formation policière. « Tous ses livres étaient dans le garage, ils devaient être expédiés, précise Valérie, qui était alors enseignante. On a décidé toutes les trois de mettre l’épaule à la roue et de continuer ce que notre père avait entrepris. » Dans un des livres, elles trouvent une dédicace d’André. « La réalisation de ce volume n’aurait pu être possible sans l’appui inconditionnel de ma compagne de vie, Denise, et de mes trois filles chéries, Valérie, Véronique et Marie-Claude. Merci, je vous aime. »

Lettre à mon fils

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Vincent Blanchard, 13 ans, n’a pas connu son grand-père André, mort le lendemain de sa naissance. « J’ai sa photo dans ma chambre, il est en uniforme de police », dit-il.

Valérie est rapidement retournée en Gaspésie, où elle vivait à l’époque. « Je me suis retrouvée avec un gros deuil et un nouveau bébé, explique-t-elle. Ce que je trouvais le plus difficile, c’était cette rencontre qui n’aurait pas lieu entre mon père et mon fils. Mon père, c’était une personne extraordinaire. J’avais très hâte qu’ils se connaissent. »

Valérie a écrit une lettre à Vincent pour lui parler de son grand-père. Pour qu’André reste vivant. « J’avais peur d’oublier », dit-elle. Comme les sœurs Fontaine avaient une maison d’édition, elles ont décidé d’en profiter pour publier cette lettre. Toujours près de toi, album illustré par Ninon Pelletier, a vu le jour aux Éditions Fonfon en mars 2010. Soit peu après la naissance de deux autres petits-enfants d’André Fontaine. Les Éditions Fonfon ? C’est le volet de l’entreprise consacré à la littérature jeunesse, créé par les sœurs Fontaine.

La perspective de Vincent

PHOTO FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Extrait d’Entre ici et là-bas, texte de Valérie Fontaine, illustrations de Ninon Pelletier, Éditions Fonfon

Véronique (à la tête de la maison d’édition depuis 2012) s’est récemment rendu compte qu’elle arrivait au bout des stocks de Toujours près de toi, qui allait fêter ses 10 ans. Avec sa sœur, l’autrice du livre, elles ont d’abord prévu une édition avec de nouvelles illustrations. Valérie a finalement écrit une autre histoire de deuil. Cette fois, elle donne la perspective de l’enfant qui n’a pas connu un proche, comme Vincent. C’est devenu Entre ici et là-bas, album bouleversant qui vient de paraître chez Fonfon.

Vincent a aujourd’hui 13 ans. « Ce qui est tangible dans ce deuil, c’est de voir Vincent grandir », observe sa mère. L’adolescent a lu Entre ici et là-bas, qui le met en vedette (avec quelques années en moins). « J’ai trouvé que le livre explique bien mon point de vue, dit Vincent. Moi, je n’ai pas connu mon grand-père, mais tout le monde me dit qu’il était super. Qu’il était drôle. Ma mère a beau me raconter des histoires sur lui, je ne suis pas tant capable de m’imaginer ce que ça faisait d’être avec lui. »

Comme son personnage, Vincent parle à ce grand-père inconnu. « Je pense à lui, affirme-t-il. Quand je suis triste, je lui parle. Ça me fait du bien, même si je sais qu’il n’est pas là matériellement, devant moi. Il peut me réconforter, même s’il ne dit rien. »

Changements de vie

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Vincent feuillette Entre ici et là-bas, dont il est le héros.

« Fonfon est né d’un deuil, c’est fou pareil, souligne Véronique. Des fois, je me dis que si notre père n’était pas mort, je serais dans un orchestre ou en train d’enseigner la musique. » En 2007, Véronique venait de finir une maîtrise en clarinette classique. Valérie, qui était enseignante, est devenue autrice à temps plein – elle compte près de 40 titres. Quant à Marie-Claude, elle travaille en relation d’aide. « On ne serait peut-être pas en train de vivre de nos passions, présentement », ajoute Valérie.

Pour ce qui est de Vincent, il a hérité d’une rosette rebelle dans sa chevelure, comme André. « Peut-être qu’on a voulu lui attribuer plein de choses parce qu’on était en deuil, mais Vincent est arrivé avec une espèce de sagesse », dit sa mère.

La mort du patriarche a secoué – et vivifié – la famille. « Pour moi, la vie s’arrête à 52 ans – et j’ai 37 ans, confie Véronique. Ce n’est pas vrai que je vais gaspiller des années. On n’est à l’abri de rien, comme tout le monde. J’ai peut-être eu un léger traumatisme, mais ça me motive. » Valérie ajoute : « On se dit : ne perds pas ton temps et profites en. Aie des valeurs et essaie de les respecter, en t’amusant. »

Attachement précieux

Vincent a le meilleur des confidents. Il peut lui parler quand il veut. Jamais il ne révélera ses secrets. Pourquoi ? Parce que son confident (son père ou son grand-père, chacun imagine ce qu’il veut...) est mort avant sa naissance. Comme il ne le connaît pas, il croit ne pas avoir le droit d’être triste de son départ. Les adultes lui parlent peu de la mort, que Vincent imagine comme un précipice. « La mort est pleine de peut-être, mais la vie aussi », observe-t-il. Émouvant et beau, cet album aborde un thème original – le deuil d’une personne chère, même si on ne l’a pas connue.

PHOTO FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Entre ici et là-bas, texte de Valérie Fontaine, illustrations de Ninon Pelletier, Éditions Fonfon

Entre ici et là-bas. Texte de Valérie Fontaine. Illustrations de Ninon Pelletier. Éditions Fonfon. Dès 4 ans.