(PARIS ) A-t-il encore l’accent ou pas ? C’est la question qu’on se pose, alors qu’il nous reçoit dans son appartement du 11arrondissement à Paris.

On a beau tendre l’oreille, être à l’affût, rien ne trahit ses origines. Pas l’ombre d’une diphtongue, même légère, aucun québécisme passé en douce, zéro mot de joual. Après 48 ans de vie parisienne – dont 35 comme correspondant pour La Presse –, Louis-Bernard Robitaille est devenu plus Français que Québécois.

« Français, je ne sais pas, mais Parisien, oui. Dans le sens cosmopolite du terme », nuance-t-il.

S’il a choisi de s’établir ici en 1972, c’est pour le journalisme, bien sûr. Mais aussi un peu beaucoup pour la littérature : il rêvait d’être écrivain et s’est rapproché de ce qui était, à ses yeux, le centre du monde dans ce domaine… Un choix heureux, semble-t-il, puisqu’il a publié à ce jour une douzaine d’ouvrages en France, avec un certain succès.

Dans son septième roman, Un vrai salaud (Éditions Noir sur Blanc), les lecteurs de La Presse retrouveront l’esprit, l’érudition et la plume vive qui caractérisaient le journaliste.

Difficile de décrire cet étrange objet littéraire, qui oscille entre la gravité et la bonne humeur. Mais Louis-Bernard Robitaille n’a visiblement rien perdu de son sens de la formule, même quand il s’agit d’aborder des thèmes aussi troubles que la séduction, la manipulation et la trahison.

Un vrai salaud, c’est forcément William Portelly, alias Diouke, personnage flamboyant et malsain, qui s’amuse à détruire toutes les femmes qu’il conquiert. Mais pourquoi Morrison, écrivain raté devenu journaliste people, lui en veut-il autant ? Et d’ailleurs, qui est le plus salaud des deux ?

Leur ultime rencontre, dans l’île de Malagusta, version fictive d’Ibiza, sera l’occasion de dénouer les fils de leur amitié tordue.

Malgré les teintes d’humour, on ne sait trop s’il faut sourire devant ce récit tragicomique, que l’auteur qualifie lui-même de roman « gris anthracite » parce qu’aucun personnage n’y est « parfaitement noir ou blanc ».

Mais la promenade, en tous les cas, s’avère savoureuse.

Les réactions en France le confirment : Un vrai salaud a reçu de bonnes critiques à sa sortie, notamment dans les pages du Monde, où l’on évoque un livre « au rythme enlevé ».

Belle reconnaissance, qui s’ajoute aux longs papiers que lui avaient consacrés Les Inrocks et Le Canard enchaîné pour ses romans précédents (Long Beach, Dernier voyage à Buenos Aires), mais qui n’égale pas encore le succès remarquable de Et Dieu créa les Français en 1994. Son portrait mordant de la société française s’était écoulé à 25 000 exemplaires à l’époque, ouvrant la voie à deux essais non moins caustiques : Ces impossibles Français (2010) et Les Parisiens sont pires que vous ne le croyez (2014), deux autres bons vendeurs aujourd’hui réédités en livres de poche.

Robitaille admet qu’il n’est pas facile de faire sa place dans le milieu littéraire français, alors que 2500 romans sont publiés chaque année et que les couteaux volent parfois bas.

S’il se réjouit « d’exister » aujourd’hui dans cette jungle sans pitié, résultat d’une certaine attention médiatique, il trouve néanmoins que la reconnaissance est arrivée un peu tard. « Je suis au stade où j’aurais dû être il y a 30 ans ! », lance-t-il à la blague.

Témoin privilégié

Le journalisme ? Beaucoup de bons souvenirs. En près de 40 ans comme correspondant pour La Presse, Louis-Bernard Robitaille a couvert un nombre incalculable de sujets, de la chute du communisme à la scène échangiste française, et interviewé la crème politique et culturelle de son époque, pour des rencontres parfois mémorables.

Il faut l’entendre parler de son entretien fruité avec Isabelle Adjani, du gros malaise avec Yves Montand, de ses entrevues protocolaires avec François Mitterrand et Jacques Chirac, ou des artistes québécoises Diane Dufresne et Carole Laure, qui lui en ont longtemps voulu de ne pas les avoir flattées dans le sens du poil de leur carrière française.

Expatrié à Paris depuis le début des années 70, l’auteur peut aussi témoigner de l’évolution spectaculaire des relations France-Québec ou des transformations profondes de l’Hexagone, qu’il a vu gagner en modestie.

« Quand je suis arrivé, les Français étaient convaincus d’être le centre de l’univers. Pour eux, les seuls interlocuteurs valables étaient les New-Yorkais. Tous les autres étaient considérés comme des moins que rien. Mais à mesure qu’on a avancé, qu’il y a eu la crise, le chômage, ça a changé. Le pays a rétréci un peu. Et maintenant, tu as des dizaines de milliers de petits Français à Montréal… C’était impensable à l’époque ! »

À savoir si lui reviendra un jour au Québec, oubliez ça.

Même s’il n’a jamais demandé la nationalité française (« Je vais y songer », dit-il, avec un air qui dit tout le contraire), Louis-Bernard Robitaille s’est tellement bien intégré qu’on le voit mal vivre ailleurs qu’à Paris, sans ses terrasses, son effervescence et cette faune si particulière dont il fait désormais partie.

« Une copine de Montréal m’a dit un jour que j’étais devenu plus insupportable que les Français », conclut-il, amusé.

Tout est là.

PHOTO FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

Un vrai salaud, de Louis-Bernard Robitaille, aux Éditions Noir sur Blanc, 254 pages.