Le nouveau spectacle d’Adib Alkhalidey s’intitule Des putes et des voleurs. « Je ne veux pas que les gens cherchent midi à quatorze heures », prévient le volubile humoriste. « Les putes et les voleurs, c’est moi. » Rencontre avec un homme du peuple.

Parce que saisir l’imaginaire de leurs élèves n’est pas une sinécure pour les profs d’histoire au secondaire, certains d’entre eux surlignent parfois la prétendue « mauvaise vie » que menaient dans la mère patrie les premiers colons de la Nouvelle-France, parmi lesquels se trouvaient des prostituées et, plus largement, des gens espérant pouvoir se refaire une virginité réputationnelle, de l’autre côté de l’océan.

Au cours des dernières années, Adib Alkhalidey a beaucoup lu Serge Bouchard qui, plus que quiconque, aura contribué à immortaliser les remarquables oubliés de l’histoire. « Il prend le temps d’entrer dans le détail de l’existence d’hommes et de femmes qui sont venus ici », souligne l’humoriste de 35 ans. « Et ça m’a beaucoup fait penser au courage de mes parents d’avoir quitté leur pays avec l’espoir d’une vie meilleure, dans un monde dont ils ne connaissaient rien. »

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Adib Alkhalidey en entrevue

Mais sans des historiens et des anthropologues comme le regretté mammouth laineux, ces valeureux aventuriers seraient demeurés dans l’ombre de ceux en l’honneur de qui on nomme des ponts.

« On m’a tellement parlé de Samuel de Champlain au secondaire, se rappelle Adib, mais Champlain était à ce point jaloux de ceux qui ont sacrifié leur vie en arrivant ici qu’il les a effacés des livres d’histoire. » Il écarquille les yeux, éclate d’un rire ahuri. « Même dans le temps, quand quelqu’un venait de rien et accomplissait quelque chose, il y avait un puissant qui trouvait ça désagréable ! »

Raconter son histoire

En résumé : Adib Alkhalidey appartient à ceux et celles qui doivent raconter leur histoire, au risque d’être oblitéré par le temps, et d’être réduit, comme les filles du Roy, au rang de putes ou de voleurs.

Mon spectacle, c’est un rappel que personne ne va venir te sauver, si tu ne le fais pas toi-même. Ce qui va te sauver, c’est de prendre en main ta capacité de t’instruire. C’est pour ça que je dis le plus souvent possible que lire, c’est ce qui m’a le plus aidé dans la vie.

Adib Alkhalidey

Dans ce cinquième one-man-show, vu en rodage le 4 janvier, Adib parle donc d’où il vient. « Et d’où je viens, ce n’est pas l’Irak ou le Maroc », précise-t-il en évoquant le pays d’origine de ses parents. Adib Alkhalidey vient du Montréal de la pauvreté, dans lequel il ne vit plus, grâce à ses propres efforts, et surtout, grâce au travail de son père et de sa mère. Un mot, travail, qu’il répète d’ailleurs pendant toute la durée du spectacle, en mordant dans la première syllabe, comme s’il parlait d’une religion à laquelle on l’aurait forcé d’adhérer.

« Être un transfuge de classe, c’est comme une double immigration », explique celui qui creuse dans Des putes et des voleurs certains des mêmes thèmes que sur son troisième album de chansons paru l’automne dernier, Sale Arabe en thérapie (ou Les charmes discrets d’un transfuge de classe).

« Être un transfuge de classe, c’est arriver à table et réaliser que tu ne sais pas pourquoi les ustensiles sont placés comme ça, illustre-t-il. J’ai appris dans les regards moqueurs des autres que je venais socioéconomiquement d’un autre endroit que bien des gens de mon milieu, parce que la culture québécoise est entre les mains de gens qui ne connaissent rien d’où je viens. Et d’où je viens, c’est le peuple. »

La terre de chez lui

Dans Québécois tabarnak, Adib Alkhalidey témoignait de la manière dont, après des années de crise identitaire et existentielle, il avait fait le choix d’appartenir de tout son cœur et son âme à la culture québécoise, parce qu’appartenir est essentiel à l’épanouissement de tout être humain.

Il est cette fois-ci question, dans Des putes et des voleurs, de la terre, celle dans laquelle on s’enracine, une réflexion amorcée par l’humoriste après avoir fait ses adieux à son père. « Quand tu mets dans la terre un membre de ta famille, le concept de terre prend un autre sens, observe-t-il. Je sais maintenant que c’est ici que je vais pleurer mon père. Et ça m’a fait réaliser que je ne peux pas plus appartenir que ça à cette terre. »

« Je ne veux pas obligatoirement plonger dans des thèmes négatifs ou difficiles, mais je ressentais le besoin d’aller là », poursuit celui qui renoue avec le ton de Québécois tabarnak, et intercale, entre ses moments de délire, des parenthèses plus sérieuses, presque graves, des instants d’époustouflante maîtrise qui ne font que décupler les rires une fois qu’il les dégoupille.

Quand tu fais de l’art, tu réalises rapidement que tu as juste deux options. Soit tu divertis les gens de l’idée de la mort, soit tu crées quelque chose qui cherche un sens à ta vie, et qui donc peut-être encourage les autres à chercher un sens à la leur, même si c’est dur, même si ça fait mal, même si ça fait peur.

Adib Alkhalidey

La scène est donc pour lui, plus que jamais, le lieu de toutes les libertés, où il peut dire ce qu’il veut dire, comme il veut le dire. C’est qu’Adib Alkhalidey est à la fois un des humoristes québécois au français le plus châtié et le plus populaire. Aucune plateforme québécoise n’a souhaité diffuser la captation de Québécois tabarnak, pourtant un des meilleurs spectacles d’humour des 20 dernières années, duquel il était hors de question pour son créateur de gommer les mots d’Église ou les passages potentiellement plus inflammables.

« D’où je viens, les gens parlent gros, ils utilisent des mots qu’on va qualifier de vulgaires, dit-il. Oui, je pourrais faire l’effort de ne pas sacrer, mais il y a une part de moi qui se demande si on n’essaie pas de m’effacer en me demandant d’effacer les gros mots. »

Adib est sur une lancée. « Ça fait des années que j’essaie de faire passer des séries de fiction qui montrent d’où je viens et chaque fois, on me dit que c’est trop ci ou trop ça. Avant, j’écoutais et en vieillissant, je comprends que c’est juste parce que ces gens ne savent pas d’où je viens. Les Québécois n’ont aucune idée d’à quel point ce qui se rend à eux est dilué par de l’incompétence. Ils ne réalisent pas à quel point, au Québec, l’art, c’est une game politique, sauf le stand-up, parce qu’il n’y a pas de subventions en stand-up. Tu montes sur scène et le peuple décide. »

Enterrement de vie de garçon, sa première série de fiction, coécrite avec Béatrice Fournera et Panayotis Pascot et coréalisée avec ce dernier, sera ainsi diffusée au cours des prochains mois sur la chaîne française Canal+. Et pour l’instant, nulle part au Québec.

Chercher un sens

Nous nous trouvons ce jour-là dans les bureaux de La Tribu, la boîte qui produit la tournée d’Adib Alkhalidey, et qui est associée depuis plus de 20 ans aux Cowboys Fringants. Au mur, derrière lui, plusieurs photos du groupe et, partout sur ces photos, le sourire immaculé de Karl Tremblay. À 17 ans, « dans le hood de Saint-Laurent », Adib écoutait en cachette de ses amis En berne et La manifestation, jusqu’à ce qu’il se rende compte que ses amis arabo-québécois écoutaient eux aussi En berne et La manifestation en cachette.

On a perdu plusieurs grands artistes québécois au cours des dernières années et toutes les fois, j’ai pleuré comme si j’avais perdu un membre de ma famille.

Adib Alkhalidey

« Chaque fois, c’est comme une partie de moi qui meurt. Parce que comme eux, je crois à cette société dans laquelle j’investis tout mon cœur, tous mes efforts. »

Adib ne prend pas au sérieux l’admiration dont il est l’objet, mais prend au sérieux le geste sacré de s’adresser à un public. « Il n’y a rien d’anodin dans le fait de parler aux gens, insiste-t-il. Ce que je prends au sérieux, c’est la connexion avec d’autres humains que je ressens dans mon corps et mon cœur quand je suis sur scène. C’est ce qui fait que je continue dans ce métier violent, malsain, plein de compétitions et de charlatans. Ce que je ressens, c’est trop fort et c’est la preuve que ce que je crée ne m’appartient pas à moi, mais à nous tous. »

Adib Alkhalidey entame sa tournée québécoise ce vendredi à la salle Odyssée de Gatineau. Il sera au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts du 23 au 25 mai et du 30 mai au 1er juin.

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Des putes et des voleurs

Des putes et des voleurs

Adib Alkhalidey

En tournée partout au Québec jusqu’en juillet