Avec Jaune, Daniel Grenier crée à l’aide une panoplie d’objets insolites un spectacle porté par son inentamable sens de l’émerveillement, la plus improbable des odes à la vie.

« Je vais commencer tranquillement, puis à un moment donné, la chaîne va débarquer », prévient Daniel Grenier quelques secondes après être monté sur scène, avant d’ajouter qu’en réalité, « la chaîne est débarquée depuis longtemps ». Ses fidèles ne tombaient pas en bas de leur chaise : l’humoriste ne sait avancer autrement qu’en roue libre.

« J’ai 50 ans », répétera-t-il au cours de cette soirée de première, comme pantois face à la folie de sa propre démarche, celle d’un éternel adolescent dont la fascination pour les chemins inédits dans lesquels ses synapses peuvent l’entraîner n’a jamais fléchi. Et dont l’envie de faire rire ses amis avec les absurdités qui se saisissent de ses pensées serait demeurée intacte.

Avec ses deux valises turquoise posées de chaque côté de lui sur des tabourets, Daniel Grenier pratique ce qu’on appelle en anglais de la prop comedy, ou si vous préférez, de la comédie d’objets. Un genre dont Gallagher, dans les années 1970 et 1980, et Carrot Top, dans les années 1990, ont été les principaux visages états-uniens, mais qui, au Québec, a peu été embrassé.

Poupées involontairement effrayantes, gogosses à l’utilité difficilement devinables, bébelles de bord de caisse enregistreuse ; Daniel Grenier a manifestement écumé les ventes de garage, sous-sols d’église et autres bazars bizarres afin de dénicher ces outils ridicules ayant pour principale propriété de mettre sa caboche en marche.

Cette quête de l’objet étrange devient ainsi la trame de fond de ce deuxième spectacle intitulé Jaune, que l’ex-Chick’n Swell ponctue de récits liés à sa singulière entreprise. Un beau matin, à l’heure où les autres se dirigent vers le bureau, Daniel Grenier, lui, s’escrime dans une allée d’un magasin à un dollar à tenter de mettre la main sur les jouets pour chiens qui lui permettraient de jouer Au clair de la lune, une mission essentielle qu’il accomplit pour nos yeux et nos oreilles ébaubis.

Gaston Lepage, à la barre de Relevez le défi, aurait été fier.

Que du n’importe quoi ?

Dans Jaune, Daniel Grenier témoigne des circonvolutions mentales auxquelles il doit se soumettre afin de se souvenir de la signification du mot quiproquo, tente de comprendre pourquoi les onomatopées que scande le chanteur de Spin Doctors dans Two Princes demeurent prisonnières de son cerveau, révèle son point de vue sur la nécrophilie et saute par-dessus un autobus scolaire en motocyclette. Il présente aussi la première blague de l’histoire de l’humour — c’est sa prétention, du moins — offerte par l’entremise d’un code QR.

Rébus, jeux de mots nonos, chansons puériles. Daniel Grenier passe d’une idée à l’autre sans que celles-ci entretiennent de lien clair entre elles, l’esprit de l’humoriste papillonnant d’un flash vers le suivant à l’instar d’un insecte attiré par une lumière encore plus puissante. Du gros n’importe quoi ? Le principal intéressé le suggère lui-même à plusieurs reprises, même si cette façon de se décrire apparaît pourtant réductrice.

Compte tenu de son aspect échevelé, un pareil spectacle a forcément ses moments moins forts, mais à l’écoute des rires qui résonnaient au Club Soda mercredi soir, les faits saillants de Jaune n’ont pas été les mêmes pour l’ensemble du public. Autrement dit : il y a de tout ici, du vulgaire comme du spirituel, ainsi que la totalité de l’arc-en-ciel ce qui se trouve entre les deux.

PHOTO FLORIAN LEROY, COLLABORATION SPÉCIALE

Avec Jaune, Daniel Grenier crée à l’aide d’une panoplie d’objets insolites un spectacle porté par son inentamable sens de l’émerveillement, la plus improbable des odes à la vie.

Mais, mises bout à bout, ces improbables trouvailles de blagues saugrenues composent la courtepointe d’une étonnante ode au pouvoir de l’imaginaire. Tout aussi quinquagénaire soit-il, Daniel Grenier demeure ce gamin inventeur de mondes, qui voit derrière leur surface tout le potentiel de poésie que contient le langage du quotidien et les bidules inutiles qui nous entourent.

Aimer la vie

Dans un rare passage plus sérieux, Daniel Grenier raconte comment son frère et agent, Michel, lui a annoncé, alors qu’ils étaient encore tous les deux de jeunes hommes, que leur autre frère était « peut-être » mort, une tragédie qui se confirmerait une heure plus tard. C’est durant ces soixante minutes d’inimaginable angoisse que le cerveau de l’humoriste aurait « craqué », soupçonne-t-il.

Ce segment, entre humour noir et authentiques confidences, résume parfaitement ce travail en apparence insensé auquel se livre ce doux guerrier de la lumière, qui arrive à faire apparaître une lueur d’émerveillement entre les fentes d’un jouet bon marché. Face à la tragédie, le jeune endeuillé a choisi il y a une trentaine d’années de se réfugier dans la joie pure de sa foisonnante inventivité et ne s’en est plus jamais détourné.

« J’aime beaucoup la vie », a lancé Daniel Grenier vers la fin de la soirée. Quand on aime, on a toujours 20 ans ? La chanson de Ferland, tirée d’une autre œuvre intitulée Jaune, n’aura jamais sonné aussi vraie.

Jaune

Jaune

de Daniel Grenier

En tournée partout au Québec

7,5/10

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