Ils ont de 23 à 37 ans. Ils incarnent la riche diversité – d’influences, d’approches, de parcours, de milieux d’origine – d’un écosystème comique en pleine transformation. Ils sont, surtout, très drôles. La Presse vous présente cinq humoristes à avoir à l’œil au cours des prochains mois.

La gratitude d’une pionnière

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Garihanna Jean-Louis

Née à Montréal, Garihanna Jean-Louis se promène toute sa jeunesse entre Haïti et le Québec, au gré de l’instabilité politique et des tragédies tristement nombreuses ayant frappé l’île d’origine de ses parents. Mais à la suite de la mort de son père, la jeune femme quitte ses études en criminologie et son travail de cadette policière au Service de police de la Ville de Montréal pour faire sa vie là-bas.

Parfois, j’ai peur de raconter mon histoire, parce qu’elle est tellement abracadabrante !

Garihanna Jean-Louis

Comédienne amatrice, elle participe en 2013 à un stage donné à Port-au-Prince par l’École nationale de l’humour (ENH), au terme duquel Louise Richer lui offre une bourse afin de poursuivre sa formation. Garihanna Jean-Louis devenait ainsi en 2017 la première femme noire à décrocher un diplôme de l’ENH. « Dans ma tête, au début, j’étais convaincue qu’on allait monter des comédies de Molière ou de la commedia dell’arte », confie en riant celle qui connaissait alors davantage les grands dramaturges que l’art du stand-up.

Pourquoi s’inflige-t-elle ce qu’elle qualifie aujourd’hui de « supplice » en montant sur scène seule ? « Parce que je veux croire que j’ai une histoire à raconter. Et tant que je n’aurai pas raconté toutes mes histoires de vie, ma résilience, toute cette saveur mangue et érable qui est en moi, je ferai de l’humour. »

Une bénédiction et un fardeau. C’est ainsi que Garihanna, 33 ans, décrit son statut de pionnière. « Personne ne m’a demandé d’être un modèle ou une inspiration », dit celle qui se désole que les jeunes des écoles où elle offre des ateliers aient généralement pour héros des artistes américains. « Mais la réalité, c’est qu’il y a toute une communauté qui compte sur moi. Je ne peux pas me comporter n’importe comment. »

Son objectif ? « Je ne veux pas ouvrir des portes, je veux les péter et les laisser ouvertes, pour que les femmes qui vont venir après moi aient la vie facile. » Son premier spectacle s’intitule Mèsi Lavi ! : « Parce que j’ai une grande gratitude pour tous les malheurs qui me sont arrivés », insiste-t-elle. « J’ai une gratitude pour le beau et pour le laid, parce que sans le laid, je n’aurais pas aujourd’hui toute cette sensibilité. »

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Les dingueries d’un prodige

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Charles Brunet

Charles Brunet a-t-il déjà songé à s’inscrire à l’École nationale de l’humour ? « Pour vrai, jamais de la vie », lance-t-il en éclatant de rire. « Jamais. Jamais. Si je fais de l’humour, c’est parce que je ne voulais pas continuer l’école. »

À 23 ans, l’humoriste né à Saint-Lambert n’a pourtant rien d’un flanc-mou et revendique un parcours qui lui permettrait presque de se décrire comme un vétéran : ses premières présences sur scène remontent à ses 16 ans, dans des cafés montréalais qui acceptaient de lui faire une place dans l’alignement de leurs micros ouverts, et même dans des bars, ailleurs au Québec, où son père l’accompagnait.

Excusez le cliché : voir Charles Brunet sur scène ne serait-ce que 30 secondes, c’est mesurer instantanément à quel point il est né pour ce métier. Et s’il peine à expliquer pourquoi il a un jour senti l’appel de l’humour, c’est surtout parce qu’il ne se souvient pas de ne pas l’avoir porté en lui.

« Pour moi, l’humour se loge dans la vérité », pense celui qui part bientôt en tournée avec ses amis Anas Hassouna et Oussama Fares, et qui se plaît de plus en plus à forer, avec ses numéros sur la sexualité, le divorce ou les différences culturelles, la frontière entre ce qui fait mal et qui provoque le rire.

Il y a tout le temps une part de douleur, de tristesse, dans les meilleures blagues. Le rire, c’est le flip d’à quel point les gens ont souffert.

Charles Brunet

Avec ses 21 000 abonnés sur Instagram, Charles Brunet n’est peut-être pas une star au sens traditionnel du terme, mais en est assurément une pour toute une génération chez qui l’écran du téléphone a remplacé celui du téléviseur.

Devenir un des visages les plus connus de l’humour québécois ? Charles Brunet en a le potentiel. « Mais je n’ai pas de rêves de grandeur. Mon principal objectif, c’est que mon spectacle soit une putain de dinguerie. »

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La persévérance récompensée

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Josiane Aubuchon

À 37 ans, Josiane Aubuchon est indéniablement la doyenne du quintette d’humoristes réunis par La Presse. Insultant, d’être encore associée à la proverbiale relève ? « Non, pas du tout. Toutes les trajectoires sont différentes », répond celle qui a obtenu son diplôme de l’École nationale de l’humour en 2012, mais dont la carrière prend davantage son envol depuis que le Québec s’est déconfiné.

L’humoriste a pourtant bien failli tout abandonner durant la pandémie, au point de consulter un orienteur, qui peinera à lui proposer une autre avenue que celle du rire. Tant mieux : en 2022, elle présentait un spectacle tous les 22 du mois, un exploit qu’elle réédite présentement tous les 14.

Est-ce donc Josiane Aubuchon qui a su déverrouiller le cœur du public ou le public qui était enfin prêt à l’accueillir ? « C’est un doux mélange des deux, répond-elle en rougissant. Plus je vieillis, moins j’ai le temps de faire semblant que je suis quelque chose que je ne suis pas. »

Je pense aussi que le public d’aujourd’hui est davantage prêt à entendre une femme forte, ronde, avec un gros accent de campagne, dont la proposition est frontale, intense.

Josiane Aubuchon

L’adversité ? Josiane Aubuchon, élevée à Saint-Norbert dans une ferme laitière, en a une vaste expérience. À 20 ans, elle était renvoyée de l’École supérieure de théâtre par des professeurs qui lui recommandaient de se tourner vers l’humour. Et qui avaient raison. Son numéro sur la masturbation, un exemple parmi d’autres, est digne des meilleurs spectacles présentement en tournée au Québec.

Beaucoup d’humoristes se plaignent d’à quel point participer à un spectacle « corporatif » est pénible. « Moi, je fais partie de celles qui ne détestent pas ça pantoute », lance Josiane Aubuchon, qui inspire d’emblée une irrésistible familiarité. « Je peux autant parler à un public de camionneurs qu’à un congrès de coiffeuses. Quand je fais des shows dans le temps des Fêtes, ça m’arrive souvent de me faire inviter au party de l’un et de l’autre. On m’imagine facilement sur le bord de n’importe quel bol à punch. »

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La joie de devenir soi-même

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Anne-Sarah Charbonneau

C’est d’abord son sourire qui saisit. Même lorsqu’elle raconte des évènements douloureux, Anne-Sarah Charbonneau affiche une irrésistible banane, comme si elle venait de recevoir le plus beau des cadeaux, ou de se découvrir un superpouvoir. « Je me sens toujours plus moi-même quand je suis sur scène », explique-t-elle avec... un grand sourire. « Au quotidien, j’ai moins tendance à être flamboyantement moi-même. »

Flamboyantement ? L’ancienne Anne-Sarah se serait sans doute excusée d’inventer un mot, mais pas celle qui se trouve devant nous et qui, à 25 ans, embrasse joyeusement tout ce qu’elle est.

C’est à son arrivée à Montréal, en 2017, que la Lévisienne d’origine découvrait l’humour en assistant à des soirées dans des bars, au même moment où se déployait son éveil féministe et queer. « C’est en voyant des gens comme Coco Belliveau ou Colin Boudrias, dit-elle, que j’ai compris que, ah OK, on peut être vulnérable sur scène. On peut parler de son identité, de ses valeurs. »

Elle coanime depuis 2021, avec son amie Noémie Leduc-Roy, le Womansplaining Show, un cabaret d’humour féministe ne réunissant que des femmes et des personnes de la diversité sexuelle et de genre. Les choses changent, se réjouit-elle. « [Mais] avant la pandémie, on réalisait qu’il n’y avait jamais plus qu’une seule fille dans les soirées auxquelles on participait. »

Et le commentaire qu’on reçoit le plus souvent après le show, c’est “Oh my God ! Je pensais que je n’aimais pas l’humour”. Ce qui est absurde, parce que tout le monde aime rire, mais les humoristes qui ont longtemps été dans les médias représentaient un seul type d’humour.

Anne-Sarah Charbonneau

Vous ne croiserez pas souvent un humoriste décrire son approche du stand-up en employant le mot empathie. C’est pourtant celui que choisit Anne-Sarah Charbonneau. Elle parle dans son spectacle Amour propre de la honte qu’a longtemps nourrie en elle son homosexualité. « Mais je suis convaincue que ça peut rejoindre tout le monde, souligne la coanimatrice de la balado Pas peu fières. Ce que je souhaite, c’est influencer les gens à s’aimer comme ils sont. » S’aimer comme on est ? Il existe en effet peu de tâches aussi universellement difficiles.

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Avant de perdre son âme

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P-O Forget

P-O Forget travaillait pour une boîte de publicité « assez corpo » et sentait tranquillement, mais sûrement, son âme se dessécher. Répondre à « des mandats de communication interne pour Desjardins ou écrire des pubs de pâté au saumon pour Normandin » ? Ça n’avait « aucune dimension créative », se souvient l’humoriste de 31 ans, qui a grandi à Val-Bélair.

Afin de ne pas sombrer, le rédacteur-concepteur désespéré commence alors, en dilettante, à écrire des blagues dans les marges de ses dossiers, matière de base d’un numéro qu’il présentera à l’open mic du Bordel Comédie Club, une soirée qui deviendra le premier jour du reste de sa vie. Sa découverte de Louis C. K. lui avait ouvert les yeux sur les possibles infinis du stand-up. « Il m’a fait comprendre, dit-il, la carte blanche absolue qu’on avait dans les thèmes, les sujets, les choix de mots. »

Au micro, P-O Forget incarne une version légèrement décalée, à la fois plus éthérée et plus naïve, de ce qu’il est au quotidien. Avec sa voix grave d’éternel ado, son personnage de scène est du genre à multiplier les observations d’une grande perspicacité, sur le ton de celui qui ne saisit pas complètement la portée de ses propos.

Son idée d’une interaction appropriée avec son public ? Demander aux spectateurs, en lever de rideau, s’il y a des nazis dans la salle ! Humour politique ? Pas au sens où on l’a souvent entendu au Québec.

Je n’ai pas l’intention de donner mon appui à un camp ou à une cause. Ce qui m’importe le plus dans la joute politique, c’est le vivre ensemble, tout ce qui fait qu’on est incapable de s’entendre.

P-O Forget

Il ne dira pas non, bien sûr, si on l’invite à faire le chroniqueur à la radio ou à la télé – on peut déjà l’entendre sur ICI Première à Tout peut arriver. « Mais les humoristes au Québec prennent une telle place, ils sont sur tous les plateaux... Moi, ma seule réelle ambition, c’est de devenir, comme Simon Leblanc ou un Simon Gouache, un humoriste qu’on associe d’abord à la scène. »

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