« Maman, c’est fini », le légendaire cri de désespoir de la mascotte Victor, n’aura jamais sonné aussi vrai. Le festival Juste pour rire présentera le 20 juillet un dernier gala, avant de remiser pour de bon son concept amiral, avec parmi ses invités le père de l’humour québécois, Yvon Deschamps.

Patrick Rozon, chef de la direction de la création chez Juste pour rire, y réfléchit depuis longtemps. « Ça doit faire au moins trois ans », dit-il au sujet de sa décision de remballer le concept sur lequel le festival qu’il pilote a assis sa renommée, celui des galas.

Intimement liés à l’identité de la grande fête montréalaise du rire, et à sa présence au petit écran, les galas Juste pour rire auront vu défiler au cours des 30 dernières années toutes les vedettes de l’humour québécois ainsi que nombre de fantaisistes venus d’ailleurs, qu’ils fabriquent des sculptures avec leurs organes génitaux ou changent de vêtements à la vitesse de la lumière.

Mais ces évènements, dénués de leur lustre d’antan, ressemblaient de plus en plus à des émissions de télé tournées devant un public payant qu’à des spectacles de scène captés pour la télé. C’est d’ailleurs ce que les quatre journalistes de La Presse affectés à la couverture des galas de l’été dernier avaient relevé, chacun à leur manière.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Patrick Rozon en 2021

On sentait depuis trois, quatre ans une baisse d’intérêt auprès des festivaliers, mais aussi auprès des artistes, pour qui les occasions de jouer sont plus nombreuses que jamais et pour qui c’était devenu un trip nostalgique plus qu’autre chose.

Patrick Rozon

Alors qu’un gala Juste pour rire était, à une autre époque, une rare occasion de voir sur une même scène un alignement d’humoristes aussi relevé, l’offre en matière de cabarets comiques (comme Le Bordel), de soirées dans les bars, de spectacles thématiques et d’autres festivals comiques en aura amenuisé l’exceptionnalité.

« Ce qu’on a testé l’an dernier, ce sont les spectacles évènementiels, qu’il est impossible de voir le mois d’avant à Valleyfield ou le mois suivant à Brossard, et on n’a jamais rien vécu de tel », explique Patrick Rozon en se remémorant le happening de David Goudreault à la Maison symphonique, celui de Mathieu Dufour au Centre Bell ainsi que l’enregistrement de la balado Sous écoute de Mike Ward, qui s’est tenu dans un domicile du CH rempli à ras bord.

« Et c’est à ce moment-là qu’on a compris que les spectacles évènements comme ceux-là, c’était pour le festival une des meilleures manières de demeurer important pour l’industrie de l’humour », poursuit le programmateur en précisant que ce tournant ne signifie pas pour autant que la prochaine édition du festival Juste pour rire, du 14 au 29 juillet, ne se déroulera que dans de vastes enceintes. « Pour nous, quelque chose d’évènementiel peut aussi bien avoir lieu dans une salle de 150 que de 15 000 places. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Yvon Deschamps en 2022

Quand Yvon se propose

Au même moment où Patrick Rozon et son équipe jonglaient avec le sort à réserver aux galas, la Fondation Yvon Deschamps Centre-Sud, qui vient en aide aux jeunes de ce quartier de Montréal, tendait la main à Juste pour rire afin qu’ils imaginent ensemble un partenariat.

Et pendant qu’on brainstormait avec Yvon, je me suis mis à lui partager ma réflexion sur l’avenir des galas, à lui parler de comment l’humour avait changé. Et c’est là qu’il m’a dit : ‟Pourquoi t’en ferais pas un dernier ? En tout cas, moi, j’y participerais.”

Patrick Rozon

La tenue du Gala Ultime marque ainsi le début d’une collaboration de trois ans entre Juste pour rire et la fondation. M. Deschamps, que seulement onze jours sépareront de son 88anniversaire, n’y sera pas que pour fournir son soutien moral, mais bel et bien afin d’offrir un numéro. Trente-huit autres noms auraient déjà confirmé leur présence sur les planches de la salle Wilfrid-Pelletier, le 20 juillet.

Pas la fin du stand-up

C’est le regretté Serge Grenier qui animait, le 15 juillet 1983, le premier gala Juste pour rire, avec des invités comme Normand Brathwaite, Jean-Paul Farré, Jean-Guy Moreau, Yolande Moreau, Roland Magdane et Sol. « Un spectacle très bien articulé, très efficace, particulièrement bien dosé au niveau de l’humour avec un heureux mélange d’humour européen, d’humour absurde et de cynisme », écrivait dans La Presse du lendemain Jean Beaunoyer.

Pour nombre d’humoristes de la génération des millénariaux, les galas Juste pour rire, de par leur forme figée, comptaient parmi les principaux responsables d’un certain formatage du rire québécois. Ces évènements continuaient pourtant de réunir le meilleur de l’humour local : quatre des cinq numéros cités dans la catégorie du Numéro d’humour de l’année lors de la dernière cérémonie des Olivier ont été présentés dans un gala Juste pour rire (dont le numéro gagnant de Korine Côté).

Bien qu’Yvon Deschamps en ait piloté pas moins de 15, c’est Laurent Paquin qui détient le record du plus grand nombre de galas, en tant qu’animateur, avec 17. Le pendant anglo des galas survivra à sa contrepartie franco, la présence de stars de partout sur la planète leur conférant naturellement un caractère unique.

« C’est la fin des galas dans leur forme traditionnelle, conclut Patrick Rozon, mais des humoristes qui font du stand-up, ça va continuer d’être au cœur de ce qu’est Juste pour rire. »

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