« À date, m’aimez-vous ? » C’est avec cette phrase que Louis-José Houde amorçait il y a 20 ans son premier spectacle, qui marquera toute une génération à qui l’humour québécois, en mal d’oxygène, s’adressait enfin. « Tout allait bien, se souvient-il au sujet de sa première médiatique, et je m’étais dit : “Je pense que je vais être correct. Je pense que je vais pouvoir faire ce métier-là.” »

« À cette époque-là, il n’y avait pas vraiment de gars de 24 ans qui faisait de shows d’humour », se remémore Louis-José Houde. La preuve que les choses ont beaucoup changé en deux décennies. Il pointe une rangée. « Je me souviens du sourire d’Alexandra Diaz, elle était juste là », explique-t-il, assis dans la salle du Gésù, où se tenait sa première, le 18 octobre 2002.

Quatre ans après être sorti de l’École nationale de l’humour, il présentait à 24 ans un premier spectacle qu’il jouera précisément 500 fois, du 21 juin 2002, date du début de son rodage, au 21 avril 2006, date de sa dernière à la Place des Arts.

Était-il nerveux, à l’approche du grand jour ? « J’étais fébrile, mais pas terrorisé. » C’est que le jeune homme avait, déjà à l’automne 2002, près de 500 prestations dans le corps, offertes dans des écoles secondaires, des cégeps et, surtout, des bars, plus ou moins crades.

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Louis-José Houde, au Gesù

Un petit circuit de soirées d’humour se déployait alors essentiellement à l’extérieur de la métropole. « Pour ceux qui commencent aujourd’hui, c’est facile de jouer plusieurs fois par semaine en ville », se réjouit celui qui fêtera bientôt ses 45 ans. Il se rappelle dans le même esprit la tâche fastidieuse qui s’imposait à celui qui souhaitait se familiariser avec l’histoire du stand-up.

J’étais à la fin de l’adolescence quand j’ai vu Delirious et Raw, d’Eddie Murphy. Maintenant, à 12 ans, si tu veux, tu peux regarder toute l’œuvre de George Carlin sur ton téléphone. Tu n’as pas besoin d’aller chez Sam the Record Man ou HMV et d’espérer qu’il y ait deux, trois CD ou VHS.

Louis-José Houde

Le Vegas du Québec

« Ça n’avait pas de bon sens, ces bars-là, observe Louis-José Houde, sauf qu’il y en avait des très le fun. » Mais pas celui où un soir, devant une foule impossible à dompter, il improvise la question saugrenue avec laquelle il brisera la glace pendant toute sa tournée. « Tous les humoristes mangeaient des volées, personne n’écoutait, c’était avant que les soirées soient bien organisées. J’étais presque entré sur scène sous des protestations. J’avais dit ça de même – “À date, m’aimez-vous ?” –, c’était de l’ironie. »

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Louis-José Houde, en juin 2003

Animateur au Chez Maurice à Saint-Lazare, le vingtenaire comptait aussi parmi les habitués des lundis du Dagobert, à Québec. « Le Dag, c’était le Vegas de cette scène humoristique là », résume-t-il, des mots qui ont sans doute rarement été prononcés dans cet ordre-là. « C’était plein à craquer, et autant c’était festif et tonique, autant ça écoutait. Ça écoutait... si t’étais drôle ! Mais s’ils te lâchaient, t’étais mal pris. C’était aussi un peu l’Apollo Theater du Québec. »

C’est dans la capitale qu’il sera un temps coloc avec Stéphane Fallu. Louis-José sourcille puis soupire très théâtralement, pendant plusieurs secondes, comme pour dépeindre, sans employer de mot, l’état de leur logis. Il collabore là-bas à la matinale d’Énergie, La Jungle, puis à TQS, au faux bulletin de nouvelles CNM. Brève expérience, dans les deux cas. « J’ai été clairé à outrance durant ces années-là, parce que je n’étais pas bon. Ce que je voulais, c’était faire de la scène. »

Pas paresseux

Si la radio et la télé lui sourient peu, Louis-José Houde accumule à Saint-Lazare une masse critique de numéros à travers lesquels il tissera la ligne directrice de son premier spectacle, dans lequel il raconte son enfance, son premier party, son premier emploi, ce qui deviendra le canevas de base de bien des recrues du rire.

François Avard, qui lui avait enseigné à l’École nationale de l’humour, l’aide à mettre de l’ordre dans ses idées. « Un jour, à l’École, François m’avait réprimandé, pas en me disant que j’étais paresseux, mais pas loin. Ça m’avait secoué. C’est probablement à cause de cette conversation que je l’ai appelé. »

Si l’humoriste a d’emblée été célébré pour l’acuité de son sens de l’observation, c’est l’absurdité de plusieurs des gags qui frappe lorsque l’on visionne aujourd’hui ce premier spectacle quelque part « entre le fait vécu et l’animisme », fait-il remarquer dans un des suppléments du DVD, paru en 2006. Animisme ? Il confère en effet une conscience à plusieurs objets, parties du corps ou idées abstraites : ses vêtements, les orteils, les lettres de l’alphabet.

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Louis-José Houde, en septembre 2004

C’était une drôle de période pour l’humour. Il y avait un mur de gros noms qui roulaient devant moi et je m’étais dit : “Je ne vais pas essayer de compétitionner avec ce monde-là.” J’avais une non-volonté de succès de masse.

Louis-José Houde

Ce sera, sur ce plan, un indéniable échec : plus de 300 000 billets trouvent preneur, parmi lesquels bien des jeunes, qui avaient enfin l’impression qu’un humoriste parlait leur langage. « Sans être révolutionnaire, j’étais conscient qu’il y avait un clivage générationnel entre ceux qui me précédaient et moi. L’humour en salle venait de trentenaires qui avaient des épouses et des enfants. Moi, j’arrivais avec des sujets un peu plus space cadet. Il n’y avait personne qui faisait trois minutes sur ses souliers. »

Bien que certains choix soient indissociables de l’époque (un micro-casque, un décor en pente plutôt superfétatoire, un entracte), ce premier spectacle marque l’avènement au Québec d’un stand-up moins ornementé, une approche qui domine les programmations depuis. Louis-José rit doucement en repensant à la dame qui s’était plainte d’avoir déboursé une quarantaine de dollars pour assister à une prestation « sans costume ni perruque ».

Mais costume ou pas, il y avait assurément dans cette œuvre de jeunesse une folie que Louis-José Houde délaissera plus tard au profit d’une plus grande introspection. « Ça ne sort pas beaucoup à mon sujet, mais personne ne me fait plus rire que les Chick’n Swell. J’adore les Monty Python. Et dans ce temps-là, ça se sentait plus. »

Faire la paix

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Louis-José Houde en 2005

« Je veux te féliciter d’avoir enduré ce spectacle-là », blague Louis-José Houde en s’adressant au journaliste qui s’était pourtant soumis sans douleur à un exercice auquel l’humoriste, lui, n’ose même pas réfléchir, tant certains de ses vieux tics l’ont longtemps agacé.

« Mais j’ai beaucoup cheminé au fil des témoignages élogieux de jeunes humoristes que j’admire. » Pierre-Yves Roy-Desmarais, Phil Roy et Michelle Desrochers, pour n’en nommer que trois, ont tous déjà reconnu, fièrement, l’influence du vétéran sur leur choix de carrière.

À mes débuts, si j’avais une minute et demie sur un sujet, je le gardais. Tout ce qui marchait allait dans le show. Aujourd’hui, je vais écarter des choses d’une grande efficacité comique, parce que lorsque je parle de quelque chose, il faut absolument que ça me prenne aux tripes.

Louis-José Houde

Après avoir extrait toute leur matière à ses échecs amoureux dans Mille mauvais choix, Louis-José Houde confie vouloir conjuguer son prochain spectacle au nous. Aborder le collectif, plutôt que l’intime. « Je ne suis vraiment pas arrivé à maturité en tant qu’humoriste, estime-t-il. Il me reste encore beaucoup à faire. »

Les 20 ans de Dollaraclip

C’est aussi il y a 20 ans, le 5 octobre 2002, que l’émission Dollaraclip, dans laquelle Louis-José Houde présentait les meilleurs pires clips, prenait l’antenne à MusiquePlus. « Dollaraclip, c’est fortement inspiré des desk pieces [les segments au pupitre] de David Letterman, qui faisait complètement à sa tête. J’entendais mon ami luxembourgeois dire “Je fais du fitness” et je lui demandais de venir en studio le lendemain. Je tombais sur le film Pousse mais pousse égal dans un motel à Natashquan et je décidais qu’on en passerait des extraits. Ce n’était pas grave que tout le monde ne comprenne pas tout. »

Jaune et l’alphabet

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Louis-José Houde au Théâtre St-Denis, en 2003

Louis-José Houde remporte en 2003 l’Olivier du Numéro d’humour de l’année pour L’alphabet, dans lequel il décrit les hallucinations qui l’avaient assailli après avoir ingéré pour la première fois du cannabis. C’est ailleurs que chez lui qu’il écrit ce numéro marquant de son premier spectacle, ce qui deviendra une habitude. « Je vivais sur Cartier dans le Centre-Sud, mais c’était un peu le fouillis. Ma blonde de l’époque était entre deux logements. Je lui avais demandé de me laisser les clés de son appart vide, sur Édouard-Montpetit. Je partais le matin avec ma radio et mon CD de Jaune, de Jean-Pierre Ferland, que je découvrais. » Hasard ? C’est durant la création de Jaune que Jean-Pierre Ferland dit avoir fumé son premier joint.

Les Louis-José Houde de demain

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Mégan Brouillard

Louis-José Houde est époustouflé par la précocité de la relève comique. « J’étais au Bordel hier. Je regardais les autres humoristes qui sont nés pendant que j’étais à l’École : maudit que, contrairement à moi, ils sont bons tôt. Michelle Desrochers, Coco Belliveau, Jessica Chartrand et Mégan Brouillard jouaient avant moi l’été dernier au Festival d’humour de l’Abitibi-Témiscamingue et j’ai été sur le cul toute la veillée. Mégan Brouillard, 22 ans, ça n’a pas de bon sens ! Je la voyais aller et je me disais : “Faut que je travaille plus fort.” »