L’un, enfant de Laval et de parents marocains, compte parmi les visages les plus connus de l’humour québécois. L’autre, Malaisien d’origine chinoise ayant grandi entre les États-Unis et Singapour, fait partie de l’équipe du Daily Show, mythique bulletin d’information satirique. Rachid Badouri et Ronny Chieng racontent leur amitié, née dans les coulisses de Just For Laughs, où ils se retrouveront dimanche soir.

Rachid Badouri figurait pour la première fois en 2015 parmi l’alignement de l’Ethnic Show, vitrine annuelle réunissant certains des plus prometteurs blagueurs issus des communautés culturelles de la planète. Au nombre des autres noms sur la marquise : Ronny Chieng, qui vivait alors en Australie et n’était pas encore la vedette qu’il deviendrait grâce au Daily Show de Trevor Noah, où il est correspondant, ainsi que grâce à ses spectacles propulsés par la puissante machine Netflix.

L’humoriste, qui habite aujourd’hui les États-Unis, se souvient avec toute la gratitude du monde de l’accueil de son collègue québécois, un hôte qui ignore visiblement comment faire les choses à moitié. « Il y a beaucoup de camaraderie entre comiques, aux États-Unis, mais c’est quand même un peu plus business. On se pointe au spectacle, on repart, on fait nos petites affaires », expliquait Chieng cette semaine, lors d’une visioconférence à trois, alors qu’il se trouvait dans les studios du Daily Show à New York et accordait à La Presse et à son ami une vingtaine de minutes à la faveur d’une pause entre deux tournages.

Je ne sais pas si c’est marocain ou québécois, mais Rachid a tout, tout fait pour s’assurer qu’on passe un agréable moment. Rachid, c’est une vedette au Québec, mais il ne nous le faisait jamais sentir. On ne s’en rendait compte que lorsqu’on se promenait dans la rue avec lui.

Ronny Chieng

PHOTO FOURNIE PAR RACHID BADOURI

Ronny Chieng devant son ami Rachid

Mais être hospitalier, pour Rachid Badouri, qu’est-ce que ça signifie, concrètement ? Ça signifie qu’en 2015, Rachid Badouri a fait fabriquer pour tous ses camarades des casquettes sur lesquelles était inscrite une ligne mémorable tirée d’un numéro de Chieng. Qu’il a fait ouvrir une pizzeria d’Ahuntsic un dimanche afin que la bande puisse y célébrer la fin du festival. Et que tout ce beau monde a été transporté du centre-ville au restaurant, puis du restaurant jusqu’à l’hôtel, en VUS de luxe.

Ronny rigole, pendant que Rachid rougit. « Tu apprends rapidement avec Rachid que c’est impossible d’être aussi généreux avec lui qu’il l’est avec toi. C’est impossible de gagner. »

De bons conseils

« Il faut aussi dire qu’on s’est tout de suite bien entendus parce qu’on était les deux seuls dans la gang à être mariés ou fiancés », souligne Rachid. Ronny renchérit, en raillant gentiment sa terre d’accueil : « C’est curieux, mais si tu es dans un groupe majoritairement composé d’Américains, les non-Américains vont avoir tendance à mieux s’entendre. »

Bien que Chieng, 36 ans, soit son cadet, Badouri, 45 ans, le considère comme un grand frère. « Ronny a non seulement une excellente écoute, mais il se souvient de fois en fois de ce dont tu lui as parlé. Et il donne les meilleurs conseils au monde. »

Alors qu’il tentait d’apporter des ajustements à son style, de tendre vers un stand-up plus pur et de moins s’en remettre au comique physique qui avait fait sa marque dans ses deux premiers spectacles, Rachid se fera ainsi gentiment ramener à l’ordre.

Je me souviens, on était au restaurant et Ronny m’a dit : « Veux-tu que je t’attache les mains, que je te mette une cagoule comme Kanye, que je t’emmène sur scène et que j’explique aux gens que tu n’as pas le droit de bouger ? Qui veux-tu impressionner au juste ? »

Rachid Badouri

« Ce que je voulais lui dire, c’est de ne pas lever le nez sur son talent, précise Ronny. Il peut exprimer ses opinions sur scène, mais il devrait utiliser son talent naturel de performeur pour les transmettre. Il ne devrait pas tenter d’être quelqu’un d’autre. Je l’ai déjà vu dans un gala en français à Montreux, et même si je ne parle pas français du tout, je comprenais tout ce qu’il racontait. Rachid performe à ce niveau-là. »

Après 2015, Rachid Badouri avait dû abandonner la langue de Seinfeld afin d’honorer des contrats en Europe. Il s’y est remis en début d’année dans l’espoir d’être conscrit pour le gala Just For Laughs de son pote, une joie à laquelle il goûtera dimanche, après avoir étrenné pendant plusieurs mois du nouveau matériel dans les comedy clubs de Montréal.

« En 2015, j’ai allumé un feu que j’ai ensuite éteint moi-même. Mais là, j’aimerais que ça devienne un incendie de forêt », confie-t-il au sujet d’une potentielle carrière en anglais.

« Pendant les deux semaines de Just For Laughs, c’est à Montréal que tout se passe dans le monde de l’humour, dit Ronny. Mais il y a tellement d’Américains que c’est comme si certains humoristes oubliaient que le Québec, ce n’est pas un État américain. » Grâce à Rachid, Ronny, lui, connaît le Québec, pour vrai.

Le Gala de Ronny Chieng sera présenté au Théâtre Maisonneuve le 31 juillet.

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