Le premier est, depuis le succès monstre de son talk-show pandémique, le Justin Bieber de l’humour québécois (au sens où tout le monde se l’arrache). Le deuxième a été, dans les années 1990, la rock star de l’anecdote au long cours, multipliant les coups d’éclat et les spectacles marathons. Rencontre entre Mathieu Dufour, qui s’offre le Centre Bell le 23 juillet, et Jean-Marc Parent, pour qui le Forum fut jadis un deuxième salon.

Mathieu Dufour entre avec son agente dans la vaste loge du Centre Bell et se met immédiatement à parler, avec un enthousiasme frôlant l’agitation, « des toilettes carrées à Céline », une cuvette qui aurait été installée à la demande de la vedette.

Quelques secondes plus tard, sans trop comprendre comment tout cela s’est produit, le représentant de votre quotidien préféré se trouve en compagnie de Jean-Marc Parent et de Math Duff devant une toilette de forme bel et bien carrée.

« Tout le monde me trouvait bizarre la première fois que je suis venu ici et que j’ai dit : “Bonjour, je veux voir la toilette carrée à Céline” », lance l’humoriste de 27 ans, qui s’exprime avec l’intensité de celui qui mettrait du Red Bull dans ses céréales.

Vérification faite auprès d’evenko, Céline Dion n’a jamais formulé de requête princière en matière de cabinet d’aisances. « Il y a eu des rénovations pour la loge des artistes avant une de ses venues, mais ce n’était pas à sa demande », explique Christine Montreuil, gestionnaire aux relations médias, dans un courriel qu’elle ne pensait sans doute jamais avoir à écrire de sa vie.

Il ne s’agit donc que d’une légende urbaine. Mais là n’est pas l’essentiel. L’essentiel réside dans cette fascination qu’exerce le Centre Bell sur l’imaginaire québécois. Fascination qu’il exerce jusque dans ses toilettes.

Un bon stunt

Début des années 1990. En assistant à un spectacle de Céline Dion (encore elle !) au Théâtre du Forum, Jean-Marc Parent s’étonne qu’on capte aussi bien les interventions de la diva. « Je regarde Lapin à la console [Yves Aucoin, éclairagiste de l’humoriste et de la chanteuse] et je lui dis : “On l’entend bien quand elle parle, Céline, han ?” Il me trouvait bizarre. Je venais d’avoir une idée. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Jean-Marc Parent

Les 24 et 25 septembre 1993, Jean-Marc Parent devenait ainsi le premier humoriste québécois à emprunter la maison de la Sainte-Flanelle, trois ans après qu’Andrew Dice Clay eut été le premier comique à remplir le Madison Square Garden de New York. Onze supplémentaires suivront, ainsi que deux dates, plus tard, au Centre Molson.

« C’était un coup de dés épouvantable », se remémore-t-il, assis dans un des confortables canapés de la loge du Centre Bell où Mathieu Dufour patientera le 23 juillet. Le vétéran sera pour sa part, ce soir-là, à la salle Wilfrid-Pelletier, pour une nouvelle édition de L’évènement JMP.

J’avais ramassé 80 000 $ grâce à des corpos pour acheter de la publicité. Mais en réalité, j’économisais un demi-million en publicité, parce que c’était un stunt. C’est comme ça que je me suis construit. Sauf que j’aurais tellement pu me casser la gueule.

Jean-Marc Parent

« Mais, mais, mais », s’empresse-t-il d’ajouter, sous l’œil attentif de Mathieu Dufour, « c’est beau, faire un stunt, il faut que tu sois bon. Si t’es pas bon, ton stunt tombe à l’eau. » Autre conseil de son aîné : « La scène, il faut que tu la remplisses. Je ne nommerai personne, mais j’en ai déjà vu ici mettre le même décor qu’ils avaient au St-Denis. »

Être bon et en jeter plein la vue, voilà ce à quoi s’applique le prince de l’Instagram comique québécois. Si Jean-Marc Parent, à son époque, avait comme stratégie de mise en scène de « vider Solotech » (une entreprise de location de matériel d’éclairage et de sonorisation), Mathieu Dufour a assisté au cours de la dernière année à des dizaines de spectacles au Centre Bell, question d’emprunter aux héros de la bande FM leurs plus étincelantes idées.

« Ce que je présente, ce n’est pas un humoriste au Centre Bell. Ce que je présente, c’est une câlice de star », lance-t-il en agitant son index dans les airs, sur un ton quelque part entre la (fausse) vanité et l’autodérision, la bouche pleine de « r » juteusement roulés.

« Je veux sortir d’une trappe dans le plancher. Je vais avoir un one-piece en diamants que j’ai fait faire sur mesure. »

Un gros souper spaghetti

Comme chez JMP, l’art de Mathieu Dufour repose en grande partie sur son incapacité à ne pas dire tout haut les plans de fou qui lui traversent l’esprit. C’est quand son Show-rona virus atteint les 15 000 spectateurs, plus ou moins le nombre de places que contient l’amphithéâtre dans une de ses configurations habituelles, que la boutade — faire le Centre Bell ! – trouve ses propres ailes.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Mathieu Dufour

« On a commencé à le nommer et ça excitait les gens », se souvient celui qui a piloté pendant 50 soirs son talk-show sur Instagram afin de tuer les longues heures de la première vague de COVID-19. « Dès que j’avais un bon invité, les gens disaient : “Tu le réinviteras au Centre Bell.” Au début, je voulais faire un souper spaghetti, mais je trouvais ça un peu intense un souper spag à 15 000. J’avais peur de manquer de sauce. »

Le lauréat de l’Olivier de l’artiste COVID de l’année en 2021 refuse pourtant de voir dans cet évènement une manifestation d’audace.

Je ne vois pas ça comme du guts, non. J’ai l’impression que c’est la suite normale des choses.

Mathieu Dufour

« C’est sûr qu’il y a un petit vertige à faire le Centre Bell, mais quand tu ramènes ça à ma carrière, ce serait niaiseux que je fasse des salles de 200 personnes quand on vend 6000 billets en deux heures », comme cela s’est produit en novembre dernier. Plus de 12 000 billets ont maintenant trouvé preneur, sur une possibilité d’environ 14 000.

« Et c’est ça qui est beau. Tu ne viens pas ici pour vendre seulement 2000 billets », enchaîne Jean-Marc, une gentille flèche décochée à certains de ses collègues qui sont montés sur la prestigieuse scène devant des foules pas si imposantes, davantage pour pouvoir se targuer de s’être tapé le Centre Bell que parce que leur popularité appelait pareille enceinte. « Tu joues ici parce que tu peux vraiment attirer tout ce monde-là. »

Math promet une expérience qui débutera dès le passage des tourniquets, bien que, fidèle à ses habitudes, il ne choisira que le matin même les histoires autour desquelles il brodera ses monologues improvisés. « Ce ne sera pas juste moi avec un follow spot. Je vais être Céline Dion ce soir-là, rien en bas ! »

Sa seule inquiétude ? L’intensité des rires conjugués d’autant d’humains. Jean-Marc le met en garde. « Va falloir que tu t’attaches. Quand la vague part, tu recules. C’est une méchante belle vague. »

Mathieu Dufour, le 23 juillet au Centre Bell

L’évènement JMP, les 22 et 23 juillet à la salle Wilfrid-Pelletier