Existe-t-il un mauvais endroit pour aborder un grand sujet avec son amoureux ? Visiblement pas, du moins pas pour la blonde de Phil Roy. C’est pendant qu’ils visitent ensemble le Musée de la laine, quelque part en Italie, qu’elle lui demande : « Tu veux-tu des enfants ? » La question deviendra le fil rouge de Philou, deuxième spectacle de l’humoriste.

À cette question, le jeune trentenaire lui en renverra une autre, encore plus importante : « Me fais-tu confiance pour avoir des enfants ? » En effet. Comment un éternel ado comme lui, qui peine à réfréner sa consommation de petits jus en boîte, pourra-t-il un jour devenir une figure d’autorité aux yeux de sa progéniture ?

Réponse : son père et sa mère, malgré l’assurance digne d’un superhéros qu’ils ont affichée durant toute son enfance, n’étaient pas mieux outillés que lui. Personne n’est suffisamment outillé pour faire face à une aussi imprévisible équipée que celle de la parentalité. Les parents sont des gens ordinaires, comprend un jour Phil Roy. Et être ordinaire, il l’avoue lui-même : voilà un domaine dans lequel il excelle.

Son deuxième spectacle ne l’est cependant pas du tout. Avec Monsieur, en 2017, l’humoriste révélait l’étendue de sa palette comique sur un ton essentiellement léger, à travers une série d’histoires puisées dans sa jeunesse. Dans Philou, dont la première avait lieu mercredi soir à l’Olympia, Phil Roy renoue avec quelques-unes des couleurs de sa première tournée lorsqu’il emprunte la voix d’un concierge de polyvalente, ou lorsqu’il imite son père qui lui laisse un message vocal, des vignettes dont il ponctue son monologue avec le maximum d’effet.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Phil Roy, dans un moment de connivence avec une spectatrice

Ces passages loufoques, reposant sur la familiarité de ce qu’il dépeint, seraient suffisants pour que personne ne réclame d’être remboursé à la sortie des salles, mais n’auraient pas à eux seuls permis à Phil Roy de se hisser au-dessus de la mêlée. Le bond impressionnant qui sépare Monsieur de Philou n’est pas sans rappeler celui qu’a réalisé Louis-José Houde entre son premier spectacle et son deuxième, Suivre la parade (2008). Houde avait alors, lui aussi, le début de la trentaine et effectuait également un premier bilan de vie, en mesurant ses propres réalisations à l’aune de ce que ses parents avaient accompli au même âge.

C’est aussi dans Suivre la parade que Louis-José Houde osait pour la première fois des thèmes moins spontanément drôles. Phil Roy, père d’une fille de 11 semaines, s’autorise quant à lui dans Philou à investir sa propre vulnérabilité, non pas pour tirer les larmes à son public, mais pour enraciner ses rires dans une matière émotive plus dense.

Chacune de ses anecdotes transcende ainsi son aspect anecdotique, sans pour autant sacrifier à sa cocasserie. Quand l’humoriste se retrouve avec son père dans un quartier dangereux de Detroit, c’est de ce premier instant où un fils voit par-delà l’armure de son paternel que Phil Roy témoigne. Lorsqu’il revisite les comédies romantiques de son adolescence, c’est pour décrire leurs effets délétères sur l’imaginaire sentimental d’un jeune homme en mal d’affection.

Et lorsqu’il aborde le sujet douloureux du deuil périnatal, ce n’est pas pour provoquer un de ces « moments touchants » auxquels s’en remettent par facilité certains de ses collègues, mais par souci de vérité. Phil Roy a dit en entrevue avec La Presse s’être permis de petits segments sans blague, ce qui n’est pas exactement un mensonge, bien que l’affirmation semble exagérée.

Les gags fusent tout au long de Philou à un rythme rapide, sauf lors de très brefs intermèdes durant lesquels l’humoriste laisse le temps aux spectateurs de bien accueillir ce qu’il vient de raconter.

Charismatiques, attachants, vifs d’esprit ; les humoristes québécois qui présentent des tournées d’envergure sont des gens dotés d’un talent exceptionnel, qui se manifeste parfois sur scène par une certaine paresse. À quoi bon se décarcasser à pondre un texte pertinent, quand la moindre de nos grimaces déclenche à elle seule l’hilarité ?

Philou est au contraire l’exemple parfait d’un spectacle dans lequel un artiste table sur ses forces – une aisance à évoquer des archétypes en quelques inflexions de voix, une facilité à entrer en contact avec le public – puis leur confère un réel travail d’introspection ainsi qu’un désir de dire quelque chose sur la vie et sur le monde qui l’entoure.

L’ironie n’échappera à personne : son premier spectacle s’appelait Monsieur, mais c’est avec son deuxième solo que Phil Roy en devient réellement un.

Philou

Philou

Phil Roy

En tournée partout au Québec

8/10