Comme tous les acteurs de l’industrie du spectacle, le Groupe Juste pour rire a connu une année 2020 « douloureuse », explique son président-directeur général, Charles Décarie. L’entreprise, qui chapeaute le plus important festival d’humour au monde, a expliqué à La Presse les stratégies qui lui permettent d’envisager l’avenir comme le ferait sa mascotte Victor : avec le sourire.

Un festival hybride, et vite !

PHOTO FOURNIE PAR FSTVL HAHAHA

Le thriller des Grandes Crues

Mardi, Juste pour rire a annoncé que son populaire festival d’humour aura bel et bien lieu du 15 au 31 juillet 2021, que ce soit dans les rues, en salle ou en virtuel. Si les organisateurs sont confiants, c’est qu’ils ont été parmi les premiers à mettre au point une offre numérique d’envergure dès le début de la pandémie. En avril dernier, Juste pour rire (JPR) a annoncé le report de son festival à l’automne et la création du FSTVL HAHAHA, quatre jours de diffusion de spectacles payants en ligne, du 28 au 31 mai 2020. « C’était un prototype pour se faire les dents avec un nouveau médium. Plus de 25 000 personnes sont venues nous voir », se réjouit Charles Décarie, PDG du Groupe Juste pour rire. Ce réchauffement 100 % québécois a jeté les bases d’un 38e festival hybride inédit, du 29 septembre au 10 octobre. Cette fois, une programmation internationale et bilingue de 10 jours a attiré quelque 800 000 internautes. C’est avec cette expérience en poche que l’équipe prépare son prochain rendez-vous international. Une aide fédérale de 1,3 million annoncée mardi permettra d’ailleurs au festival de solidifier son offre numérique et de préserver des centaines d’emplois. « On s’est vite dit : “On maintient nos festivals, que ce soit à Montréal, à Toronto, à Vancouver ou à Sydney.” Plutôt que d’annuler, on va faire une réingénierie, une refonte pour s’adapter aux nouvelles conditions du marché et aux nouvelles conditions sanitaires. »

Les grandes promesses du petit écran

PHOTO FOURNIE PAR VIVIEN GAUMAND

Simon Delisle, sur le plateau du Mon prochain stand-up

La pandémie a frappé durement JPR, qui vivait sa deuxième crise en moins de cinq ans, la première ayant été provoquée par la chute de Gilbert Rozon, visé par des allégations d’agression sexuelle en 2017. « On a perdu 60 % de nos revenus en 2020 et on a mis 75 % de nos effectifs dehors, dit M. Décarie. Toutes nos productions sur scène ont été annulées. L’hécatombe a été douloureuse. On s’est demandé : “Comment on va générer de nouveaux revenus ?” » Le groupe, maintenant contrôlé par Bell et evenko, a trouvé une partie de réponse dans les productions télévisuelles. « On a augmenté très radicalement la production de nos émissions. On en faisait quelques-unes, surtout des captations de shows qu’on vendait à des diffuseurs. On s’est mis en mode création d’émissions originales, qu’on est allés pitcher à des grands réseaux comme Bell, Radio-Canada, Corus, TVA et autres. Le but était de continuer à occuper nos artistes et à faire du contenu humoristique. Ç’a été notre premier fer de lance dans l’année 2020. » Cinq nouveaux projets ont ainsi vu le jour au petit écran la même année que le virus : Mon prochain stand-up (Noovo), Corde raide (Z), Les Soirées carte blanche (Noovo), Cultive ton comique (ICI Tou.tv) et Humour Resources (CBC). « En 2020, on a tout fait sauf chômer. Ça nous a permis d’engager plus de 500 artistes québécois et canadiens. »

Chaînes en continu

SAISIE D’ÉCRAN DU COMPTE YOUTUBE JUSTE POUR RIRE LES GAGS

Le Groupe Juste pour rire a une quinzaine de chaînes YouTube.

Au-delà de son offre télé, le Groupe Juste pour rire s’est intéressé de plus près à la « monétisation » des contenus sur les réseaux sociaux, notamment YouTube et Facebook. « On doit aller chercher une portion de ces dollars-là », insiste M. Décarie. Son équipe gère désormais une quinzaine de chaînes YouTube. « On en a aux États-Unis, au Japon, à Dubaï… Ce sont des contenus produits au Québec suivis au total par 35 millions de personnes. » Les vidéos des Gags Juste pour rire, regroupées sous Las Mejores Bromas ou encore Just For Laughs Gags Arabic, collectionnent les millions de vues. La chaîne d’humour la plus populaire au Canada, Just For Laughs Gags, rassemble à elle seule 11 millions d’abonnés. Quelque 7000 vidéos ont été regardées plus de 6,5 milliards de fois, soit presque un clic par Terrien. Pas étonnant que Juste pour rire ait tenu à poursuivre le tournage de l’émission, diffusée dans plus de 150 pays, l’été dernier à Montréal. Outre les réseaux sociaux, JPR mise sur des plateformes d’écoute comme SiriusXM, Pandora et Spotify. « Pour nous, c’est une autre source de diffusion de la culture canadienne. On a enregistré des humoristes d’ici en performance et on les diffuse en continu. » Grâce à son déploiement en ligne, JPR rejoint plus que jamais le marché international, notamment les communautés francophones d’Afrique et d’Europe.

Créer pour le web

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

L’humoriste Mathieu Dufour

Selon Charles Décarie, les festivals et les évènements qui diffusent sur le web doivent impérativement penser leurs contenus en conséquence. « La simple diffusion de spectacles en ligne, ça ne suffit pas à une organisation culturelle pour survivre. Tout le monde fait ça : l’OSM, les théâtres, etc. Le grand constat qu’on fait, c’est que pour survivre et pour continuer à se déployer, une entreprise culturelle doit se transformer dans le numérique. Il doit y avoir non seulement une diffusion des spectacles, mais il doit aussi y avoir des évènements hybrides et du contenu produit pour le web spécifiquement. C’est un médium particulier, qui a sa propre dynamique, sa propre clientèle. » Le PDG du Groupe Juste pour rire souligne que certains humoristes ne maîtrisent tout simplement pas les codes de la diffusion numérique. « En revanche, je remarque qu’il y a des enfants du web, comme Norman en France ou Mathieu Dufour au Québec. Ce sont des stars qui sont habituées de ne pas avoir de rétroaction immédiate du public, si ce n’est d’un chat qui les alimente. » C’est avec ce genre d’humoristes que JPR souhaite conquérir un nouveau public, jeune et international. Dans les années à venir, « on va persévérer dans toutes ces innovations de diffusion de la culture québécoise et canadienne à travers les médiums en ligne », conclut M. Décarie.