On a beau lui répéter qu’elle n’a pas à se sentir mal, Katherine Levac se confond en excuses au bout du fil au sujet du bruit ambiant dont on s’enquérait non pas pour le lui reprocher, mais par simple curiosité. « Tantôt, quand tu m’as demandé : ‟C’est-tu un bon moment pour qu’on se parle ?”, la réponse, c’est que ce n’est jamais un bon moment », explique en riant celle qui a accouché de jumeaux il y a un mois. Elle se trouvait au moment de notre entretien dans un magasin, à tenter de se dénicher une tenue en vue d’une petite tournée promo. « Et là, je ne sais plus du tout ce dans quoi je rentre ou pas. »

Ces nouveaux vêtements ne lui serviront non pas à exhiber des photos mimi de sa progéniture, mais bien à accompagner la sortie de Grosse, une heure de matériel flambant neuf capté par sa conjointe, la cinéaste Chloé Robichaud (Sarah préfère la course, Pays) et offerte en location depuis jeudi sur son site web. Si, aux États-Unis, des humoristes comme Ali Wong, Amy Schumer ou Natasha Leggero ont accouché au cours des dernières années de spectacles d’humour tournés pendant qu’elles fabriquaient un être humain, maman Levac est la première à leur emboîter le pas au Québec.

Un projet imaginé par le couple qui, en lieu et place d’une séance photo pieds nus et vêtu de blanc dans un champ de blé, souhaitait s’offrir un souvenir de cet été béni durant lequel l’humoriste s’était promis de ne faire que des choses qu’elle aime.

C’est un peu bizarre, l’image de moi enceinte en train de roder du nouveau stock dans les bars, mais c’était pas trash du tout !

Katherine Levac

Au-delà de ces intentions joliment égoïstes, l’animatrice de L’amour est dans le pré constatait, en lisant de nombreux messages de couples désemparés reçus après avoir annoncé la venue de ses gamins, qu’il y a dans la procréation assistée un authentique sujet de société (en plus d’un généreux terreau comique). Résultat : Grosse est un des rares spectacles d’humour dans lequel les blagues de sperme (tout comme celles de constipation, d’ailleurs) ne peuvent pas être taxées de puérilité.

« Ça fait moi-même quelques années que je sais que je vais avoir recours à ces moyens-là et j’étais dans l’ignorance de tout le processus », confie-t-elle, avant d’ajouter, avec encore un peu d’incrédulité dans la voix : « On va se le dire : combien de fois dans une vie tu te retrouves à magasiner du sperme ? » Impossible de ne pas en rire.

Mon corps

Le spectacle s’intitule Grosse, pour des raisons manifestes, mais aussi, comme Katherine Levac l’écrivait jeudi sur Instagram, parce qu’elle y revient sur « une période de [sa] vie où les gens adoraient commenter sur [son] poids ». Les transformations physiques de ses confrères masculins P-A Méthot et Laurent Paquin n’ont pas déchaîné le même torrent de venin, observe-t-elle sur scène. « Si j’étais de mauvaise foi, je dirais que c’est parce que je suis une femme… »

L’humoriste précise en entrevue qu’elle se réjouit que, grâce à des campagnes comme la semaine Le poids ? Sans commentaire !, il apparaît de plus en plus évident qu’il est indélicat, voire violent, de questionner qui que ce soit sur sa relation avec le pèse-personne.

« C’est quand même assez récent qu’on se rende compte que ça n’a pas de bon sens », rappelle-t-elle. Malgré ces progrès, être une femme dans l’espace public suppose encore d’être constamment scrutée sous tous les angles.

« On parle du poids, mais ça peut aussi être les cheveux, le style vestimentaire ou le maquillage. On pourrait faire le test pour le fun : si j’allais à Tout le monde en parle pas maquillée – bon, là, ça n’aurait vraiment pas d’allure parce que je ne dors pas la nuit ! – mais même en temps normal, je suis sûre que beaucoup de gens seraient en colère. »

C’est un réflexe de société de commenter ce dont les femmes ont l’air.

Katherine Levac

Parce qu’une femme enceinte doit souvent uriner, Grosse est interrompu par un bref entracte en forme de visite aux toilettes, l’occasion pour Katherine Levac de jaser sans circonlocution de l’impact physique d’un accouchement (précisément du risque important de déchirures), un sujet généralement éludé dans les showers de bébé. « Je trouve qu’on ne parle pas assez de ça ! On va juste te dire que c’est donc ben beau, un accouchement. Même moi, je me surprends à dire que c’était donc ben un beau moment. Ç’a été le moment le plus magnifique de ma vie, oui, mais ç’a aussi été le moment le plus difficile de ma vie. C’est les deux. »

Quelque part dans un grand magasin, Katherine se vide le cœur. « On est très bons pour ignorer notre corps ! À 15 ans, on m’a dit : ‟Prends la pilule en continu” et j’ai répondu : ‟Parfait”. Je trouve que je ne me suis pas assez posé de questions sur comment mon corps fonctionne. Je ne savais pas vraiment c’était quoi, un périnée, un col. J’étais déroutée, surprise et aussi complètement fascinée en apprenant tout ça. Wow, le corps fait ça ! C’est malade ! »

Le monde de demain

Grosse témoigne aussi, en filigrane, de l’inquiétude d’une mère face au monde dans lequel elle invite deux nouvelles personnes. Katherine Levac y évoque, comme un leitmotiv, son besoin insatiable d’être validée par les rires d’une foule et, s’il y a certes un fossé entre cette soif d’approbation et les gestes répréhensibles qui ont été reprochés à certains de ses collègues à l’été 2020, il y a dans le pouvoir de l’humoriste le germe de plusieurs dérives, constate-t-elle.

Quand ton travail, c’est d’être la rock star, de chaque soir avoir raison, parce que tu t’es arrangé pour avoir raison, et que tu t’en vas faire des jokes devant des gens qui ont payé un prix qui n’a pas de bon sens pour entendre des choses que t’as pratiquées pendant des mois sur d’autres humains, ça se peut qu’à un moment donné, il y ait des excès.

Katherine Levac

Même au risque de sonner comme le proverbial vieux monsieur qui houspille les nuages, la femme de 32 ans se permet aussi de s’interroger, en mode autocritique, quant à l’impact des réseaux sociaux sur la possibilité, pour les ados d’aujourd’hui, de goûter à l’insouciance dans laquelle elle a elle-même grandi.

« Je nous trouve parfois irresponsables dans les messages qu’on envoie, quand on dit qu’il faut s’accepter comme on est. » Katherine s’adresse à une instagrameuse fictive : « C’est sûr que tu t’acceptes et que te trouves belle, ma chum ! Tu corresponds à tous les standards de beauté, t’es absolument magnifique ! Ce que je veux dire, c’est que la ligne est mince entre envoyer un message d’acceptation et être les pires personnes. »

Que souhaite-t-elle à ses garçons ? « Je leur souhaite d’avoir confiance. Je leur souhaite de tout essayer, de tout goûter, de rencontrer plein de gens différents. J’ai soif de différences pour eux. Je leur souhaite de tout voir. »

Consultez le site de Katherine Levac