Je vous avoue que lorsque mon collègue Jean Siag m’a parlé mardi de ce projet d’« entrevues-testaments » que va produire France Beaudoin avec une cinquantaine de personnalités québécoises, j’ai été dubitatif.

Imaginez un peu la scène : alors qu’on vous maquille, vous vous préparez mentalement à donner l’entrevue dont vous savez qu’elle sera diffusée après votre mort. Bonjour le cocktail d’émotions !

Lisez « Le mot de la fin aux bâtisseurs du Québec »

Comme dirait Robert Charlebois, tu ne veux pas manquer ton coup et faire « pétak » !

Quel curieux concept, me suis-je d’abord dit. Qui va accepter d’offrir une entrevue ultime alors qu’il a encore des projets et qu’il repousse l’idée de la mort ? Tu es à la maison en train de lire un bon roman ou d’apprendre un texte de théâtre, le téléphone sonne et on te demande d’accorder une entrevue qui sera vue et entendue après ta mort.

On est loin de la journaliste du 7 Jours qui te demande où tu iras passer tes vacances.

Je connaissais la formule de l’entrevue posthume ludique. La Radio Télévision Suisse (RTS) produit une série intitulée L’entrevue de la mort qui tue : une interview posthume avec…, où des personnalités comme Serge Gainsbourg ou Georges Brassens sont faussement interviewées par un journaliste contemporain à partir d’images d’archives, au moyen d’un habile montage.

Il y a aussi Thierry Ardisson qui pousse la chose plus loin avec Hôtel du temps, une émission où il présente des entrevues avec des personnalités mortes comme Dalida, Coluche ou Jean Gabin, qu’on fait revivre devant la caméra grâce à des prouesses technologiques.

La formule de la série québécoise, intitulée Avant de partir, est nettement différente. Il s’agit de l’entrevue héritage, celle qui va engloutir toutes les autres.

C’est celle qui fera chavirer le cœur du public, car on saura que la personne interviewée savait que ça serait la dernière.

Plus je réfléchissais à cette idée, plus je me disais que finalement elle n’est pas mauvaise. À bien y penser, ce concept est de son temps, car il s’inscrit dans un nouveau courant, dans une manière plus libre et plus saine d’envisager la mort. Je suis sûr qu’on n’aurait pas pu faire cela il y a 10 ans, mais aujourd’hui, oui.

Nous vivons maintenant avec la réalité de l’aide médicale à mourir et des cérémonies funéraires personnalisées où l’on rivalise d’originalité pour honorer la mémoire des défunts. On peut d’ailleurs voir dans ces commémorations des témoignages que les personnes décédées ont enregistrés sur vidéo avant de mourir. Si des inconnus le font, pourquoi pas des personnalités qui ont forgé notre histoire ?

Deux jours avant sa mort, David Bowie a lancé le disque Blackstar, lequel fut précédé de la parution de la vidéo Lazarus où on le voit s’enfermer dans un placard, sorte de symbole du cercueil. Cet artiste unique a fait de sa mort une œuvre d’art.

On signe la mise en scène de notre propre mort, on règle ses moindres détails devant le notaire, ce concept d’entrevue ou de témoignage n’est que la suite logique de cette relation avec le « grand départ ».

L’autre chose à laquelle je pensais, c’est la teneur des propos que les invités tiendront devant les deux intervieweurs, Danielle Ouimet et Gildor Roy. C’est une chose de parler de son nouveau roman ou de son prochain film, c’en est une autre de raconter sa vie sachant que nos propos scelleront notre pensée à tout jamais.

Est-ce que certains penseront à des phrases marquantes qui seront relayées par les médias ? On le sait bien, quand une personnalité meurt au Québec, les radios et les télés vont immanquablement puiser dans les archives des mots qui ont une résonance testamentaire du genre « J’ai eu une belle vie et je n’ai aucun regret ! Je n’ai pas peur de la mort ! Si je devais recommencer ma carrière, je ne changerais rien ! »

J’ai été étonné de lire qu’il a été difficile de trouver une chaîne acceptant de présenter ces entrevues dont la diffusion ne peut être, évidemment, programmée d’avance. Cela démontre le manque de souplesse des télés.

C’est donc Télé-Québec qui va diffuser ces entretiens qui bénéficient d’un budget de 2,7 millions. Espérons qu’on ne présentera pas cela à 23 h ! Une diffusion sur le site web de Bibliothèques et Archives nationales du Québec (BAnQ) est aussi prévue.

Dans le communiqué de presse, on précise que le but de ces entrevues est « de préserver la mémoire de ces personnes et de transmettre l’héritage culturel qu’elles nous laissent ». J’ajouterais que ça sera aussi l’occasion pour les personnes interviewées d’avoir le dernier mot sur leur parcours.

Souvenez-vous de Pierre Bourgault à qui on avait montré en 2000 le reportage « viande froide » le concernant produit par Radio-Canada et destiné à être diffusé après sa mort. Le segment, d’abord empêché de diffusion, a été présenté plus tard. Bourgault avait relevé quelques erreurs qu’on s’était empressé de corriger.

Est-ce que les personnalités qui vont accepter de se prêter à cet exercice inusité voudront remettre les pendules à l’heure au sujet de certaines choses ? Faire une révélation jusque-là gardée secrète ? Oseront-ils mettre la langue de bois au purgatoire et enfin livrer leur véritable pensée ?

Vous comprendrez qu’il m’est difficile de dire que j’ai hâte de découvrir le résultat, car cela voudrait dire…

D’ici là, les personnalités peuvent continuer à faire de bonnes vieilles entrevues avec les journalistes. À ce sujet, un truc me chicote… Il nous arrive parfois, lors d’entrevues, de nous faire dire : « J’ai raconté cette histoire mille fois » ou « J’ai tout dit à mon sujet ».

Ceux et celles qui accorderont une ultime entrevue dans le cadre d’Avant de partir auront encore plus le loisir de nous répondre ça.