Et si, avant de partir, non pas pour quitter votre amoureuse, comme dans la chanson de Roch Voisine, mais pour s’en aller vers l’au-delà, pour faire le dernier voyage, l’aller simple quoi, vous aviez la chance d’accorder une dernière entrevue, le feriez-vous ? C’est en tout cas l’idée qu’a lancé la comédienne et animatrice Danielle Ouimet.

Le projet télévisuel de ces entrevues-testaments a germé dans la tête de Danielle Ouimet en 2015, alors qu’elle se trouvait dans une salle d’attente de l’hôpital Saint-Luc.

« Pendant que j’attendais, j’ai aperçu Andrée Lachapelle [l’actrice] et André Melançon [le réalisateur], ils se tenaient la main sans se parler. Je n’ai pas voulu les déranger, mais à ma grande surprise, c’est eux qui sont venus me voir pour me dire qu’André avait un cancer. Ils m’expliquaient la fin d’une vie et moi j’aurais tant voulu leur poser des questions. Comment a été leur vie ? Qu’est-ce qui fait qu’on peut être encore heureux à un certain âge ? »

Tout est parti de là. Avec l’objectif de « préserver la mémoire des grands bâtisseurs du Québec », selon l’expression du ministre de la Culture et des Communications Mathieu Lacombe. Des gens issus du milieu culturel, mais aussi du secteur des affaires, du sport, des sciences. Des personnalités qui ont marqué l’histoire du Québec, à qui l’on donne l’occasion de s’exprimer publiquement une dernière fois.

Puisque le modèle d’affaires est inusité – étant donné la diffusion sporadique de ces 50 entrevues-testaments, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) et la productrice France Beaudoin (de la maison Pamplemousse) ont eu de la difficulté à trouver un diffuseur. C’est finalement Télé-Québec qui a mis le pied à l’étrier, avec l’aide du ministère de la Culture et des Communications, qui finance le projet en y injectant 2,8 millions.

France Beaudoin n’a pas voulu identifier les personnalités qui ont accepté d’accorder une dernière entrevue – qui sera diffusée après leur mort – mais a donné des exemples des personnes qu’ils auraient aimé interviewer. « On aurait rencontré Denise Bombardier, Hubert Reeves, Bernard Lemaire, Leonard Cohen, Michel Louvain… Ça vous donne une idée de l’étendue des personnalités qu’on vise. »

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Le ministre de la Culture et des Communications Mathieu Lacombe, entouré des animateurs Gildor Roy et Danielle Ouimet (à sa droite), ainsi que de Marie Grégoire, directrice de BAnQ et de la productrice France Beaudoin (à sa gauche).

L’équipe de production aura trois ans pour mener ces 50 entrevues (de 45 minutes), qui sont tournées dans la magnifique salle de lecture des Archives nationales de Montréal. Jusqu’à présent, trois entrevues ont été complétées.

Étonnamment, la plupart des personnes qui ont été contactées ont accepté. Une façon d’avoir le dernier mot avant de partir… « Les gens y voient un très très grand honneur. Pour avoir assisté aux premières entrevues, ce ne sont pas des moments mélancoliques, c’est totalement assumé. Ceux qui ont refusé ont une condition difficile ou ne veulent pas se voir comme ils sont en ce moment, nous dit France Beaudoin. Parce qu’au fond, on crée la dernière archive. Pour des raisons de dignité et de respect, on ne divulgue donc aucun nom. »

Pour épauler Danielle Ouimet aux entrevues, c’est le comédien et animateur Gildor Roy, qui a été contacté par France Beaudoin. Avec Danielle, ils se partageront les entrevues.

J’ai tout de suite dit oui. C’est drôle parce que deux jours avant que France m’appelle, je discutais avec un ami de ce que sera notre viande froide, et je lui disais : est-ce que la dernière image que les gens auront de moi sera km/h ? (rires !) Je me dis que c’est important de donner la parole une dernière fois aux personnalités du Québec.

Gildor Roy, comédien et animateur

Nous posons la question aux deux animateurs d’Avant de partir : est-ce que ces entrevues seront forcément complaisantes ? Tout le monde a une part d’ombre. Est-ce que vous allez aborder les sujets plus controversés ?

« Je pense que oui, répond Gildor Roy. Quand Michel Louvain est décédé, c’est la première fois qu’on disait publiquement que son chum avait de la peine, mais tout le monde le savait. Les gens qu’on va interviewer sont rendus assez loin dans leur vie et sont assez brillants pour aborder eux-mêmes les sujets difficiles. Il n’y a pas d’interdits, en même temps, les gens savent dans quoi ils s’embarquent. »

Danielle Ouimet, qui a animé l’émission Bla Bla Bla de 1993 à 2000 à TVA, croit que le contexte dans lequel ces interviewés se trouvent est propice à un partage de « vérités ».

« Je leur dis : quand vous rentrez à la maison, qu’est-ce qui vous fait rire ? Qu’est-ce qui vous amène dans la vérité ? Avez-vous eu le bonheur facile ? Est-ce qu’il y a quelque chose que vous feriez autrement ? C’est ce que je veux savoir, c’est ce que je veux qu’il reste de vous. Donc, ça ne peut pas être complaisant. On ouvre des portes sans les forcer à se confier, mais ils sont dans un état de réceptivité, de confiance et de confidence. Jusqu’à présent en tout cas, ils sont très honnêtes. »