Les médias britanniques ont enfin pu voir le prince Harry lors de son arrivée à la Haute Cour de Londres pour un procès hautement médiatisé. Le mouton noir de la famille royale d’Angleterre est là pour témoigner dans une affaire qui l’oppose au Mirror Group Newspapers (MGN), qui publie le Daily Mirror, le Sunday Mirror et le Sunday People, des journaux connus pour leur contenu sensationnaliste.

Selon le plaignant et ses avocats, MGN aurait eu recours à du piratage de messageries téléphoniques (qui aurait nécessité l’embauche d’une trentaine de détectives privés) pour obtenir de l’information privilégiée. Cette collecte d’informations aurait été effectuée entre 1996 et 2010.

Face à ces accusations, MGN se défend en invoquant l’ancienneté des faits reprochés. Mais cela ne satisfait pas le prince, qui veut faire cesser cette tactique.

Lors de son témoignage, Harry a dit que d’après son expérience en tant que membre de la famille royale, chacun d’entre eux se voit attribuer un rôle spécifique par la presse tabloïd : « Vous êtes soit le prince playboy, soit le raté […] ou dans mon cas, le tricheur, le buveur mineur, le toxicomane irresponsable, et la liste est encore longue. »

Et vlan !

PHOTO ALISHIA ABODUNDE, REUTERS

Les journalistes étaient nombreux mardi devant la Haute Cour de Londres pour voir le prince Harry.

En disant cela, Harry met exactement le doigt sur la diabolique mécanique de la presse people. Ces petits journaux aiment attribuer des personnages à ceux et celles qui ornent leur papier semi-glacé.

Et pour la presse à scandales britannique, Harry est celui qu’on aime détester (surtout depuis qu’il en couple avec Meghan Markle, que d’aucuns considèrent comme manipulatrice et fauteuse de troubles).

L’archétype de la personnalité détestable est un gage de succès pour ces médias. Observez attentivement leurs unes. Soit tu es victime, soit tu es détestable. On te déteste parce que tu es célèbre et riche, que tu as quitté ou trompé une gentille victime ou que tu es devenu gros ou vieux.

Pendant longtemps, on détestait les choses et les gens chacun dans notre petit coin noir. Aujourd’hui, plus besoin ! Avec la presse à scandales et les réseaux sociaux, on peut détester collectivement. Youpi ! Car ça, c’est jouissif ! C’est de l’Ozonol sur notre quotidien morne et bancal. Ça procure le sentiment d’être moins seul, d’appartenir à un groupe.

On a tous vécu cela un jour. Tu discutes d’une vedette ou d’une œuvre avec des amis et tu fais part d’une détestation. S’ils pensent le contraire de toi, il y a de fortes chances que tu éprouves un inconfort. Mais s’ils te disent en chœur qu’ils détestent eux aussi la vedette dont tu viens de parler, tu auras l’impression de te rapprocher d’eux, d’être dans la vérité.

La haine collective alimentée par la presse people et les réseaux sociaux a pris des proportions énormes. La recette ? Créer des rivalités pour nous amener à prendre position. Êtes-vous Jennifer ou Angelina ? Johnny ou Amber ? Kate ou Meghan ?

L’autre jour, parlant des propos de Julie Le Breton sur Céline, un ami m’a dit tout de go : « Je suis Team Julie. » Aujourd’hui, il faut faire partie d’un clan. Et adhérer à la pensée de ce clan. C’est plus simple comme ça.

Harry pourrait sans doute s’accommoder de son statut de mégapersonnalité. Après tout, les autres membres de sa famille composent très bien avec cela. Le problème, c’est que le mal-aimé des Windsor n’en peut plus du traitement (ou du rôle) qu’on lui réserve. Il l’a dit clairement mardi devant le juge en affirmant avoir « connu l’hostilité de la presse depuis la naissance ».

Harry voudrait des titres gentils comme en ont son frère et sa femme. Voilà son drame.

PHOTO PAUL CHILDS, ARCHIVES REUTERS

Le prince Harry et Meghan, duchesse de Sussex

Il ne veut plus vivre avec cette intrusion. Comment faire confiance aux autres quand on intercepte tes textos ? Son père avait vécu quelque chose de similaire en 1993 lors du fameux « tampongate ». Une conversation téléphonique hautement intime qu’il avait eue quatre ans plus tôt avec Camilla Parker Bowles avait été enregistrée « pour des raisons inconnues ».

D’une autre génération, Harry veut faire la lumière et obtenir réparation.

Certains pourraient croire qu’il est le seul responsable de ses malheurs. Le livre qu’il a publié, personne ne l’a forcé à l’écrire. La promotion qui a suivi, personne ne l’a obligé à la faire.

Je ne suis pas un fan de ce mec (qui a eu la mauvaise idée un jour d’enfiler un costume nazi lors d’une soirée), pas plus que des autres Windsor. En même temps, il est celui qui ose dire tout haut que cette famille n’en est pas une et qu’elle est une institution, sinon un énorme business destiné à imprimer des livres sterling.

Ne serait-ce que pour cela, il mérite notre attention quand il demande : « Combien de sang va encore tacher leurs doigts avant que quelqu’un ne mette un terme à cette folie ? »

Vous souvenez-vous des propos du frère de Diana, Charles Spencer, au lendemain de la mort de sa sœur, en 1997 ? Il avait exhorté les médias à prendre leurs distances face à ses neveux. Cela a duré quelques années.

Vingt-cinq ans plus tard, Harry vit de nouveau le même cirque. La récente chasse par des paparazzis américains dans les rues de New York dont il a été la cible est un exemple frappant et dérangeant de cette réalité.

Les vautours, prêts à tout pour une photo volée ou une confession secrète, ont oublié cette demande d’intimité. Pas Harry.